Feriel, jeune femme de 23 ans, a été diplômée ingénieure dans la spécialité Matériaux industriels lors de la dernière cérémonie de remise des diplômes de l’EICnam. Comme Arthur et David, elle nous livre un très beau témoignage illustrant l’articulation ténue qui existe entre une formation en apprentissage et l’emploi. Après un bac scientifique et un DUT Mesures physiques dans la spécialité matériaux et contrôle physico-chimique, Feriel a choisi une formation d'ingénieur en apprentissage au Cnam.
Elle revient pour nous sur la formation choisie,
les atouts majeurs de l’alternance et les passionnantes
missions qui lui ont été confiées dans ce cadre. Grâce à la formation, Feriel est aujourd’hui parfaitement intégrée professionnellement et occupe un poste au sein d’une grande entreprise.
Vous avez été embauchée directement à l’issue de votre apprentissage ; parlez-nous de votre actuelle fonction d’ingénieure; qu'est-ce que la formation vous a globalement apporté pour l’exercer?
Le titre d’ingénieure Cnam m’a effectivement permis d’être embauchée par l’une des entreprises où j’effectuais mon apprentissage ; j’ai donc naturellement évolué de la formation vers l’emploi. Qui plus est aujourd’hui, en tant qu’ingénieure Matériaux, plusieurs évolutions de carrière sont ouvertes dans différents domaines de l’industrie et de la recherche.
Aujourd’hui je suis ingénieure ECA chez Saipem. ECA signifie Engineering Critical Assessment, discipline sur laquelle se base mon activité. Cette discipline ou branche de la mécanique des structures est une analyse critique visant à déterminer et imposer une taille de défaut acceptable afin d’assurer que la structure étudiée soit à l'abri d'une défaillance dans des conditions de charge spécifiées. En effet, il est très courant que des fissures soient observées au niveau des soudures entre les pipes ou que des défauts déjà présents dans le métal puissent croître et poser problème à la suite de sollicitations extrêmes ou cycliques pendant la durée de vie de la structure (20 ans pour un pipeline). Il est donc primordial de prendre en considération toutes les menaces potentielles. L'ECA couvre toutes les étapes de la vie d'un pipeline et par conséquent j’interviens à différents niveaux : Conception, Fabrication et Exploitation.
Je travaille actuellement sur le projet Agogo Phase 2, un champ pétrolifère situé en Angola. Mes missions s'articulent autour de la phase de préfabrication afin d'évaluer de manière détaillée la nocivité des défauts potentiels et de fournir des tailles de défauts acceptables, qui permettront de prendre des décisions quant aux réparations à effectuer pendant la phase de fabrication.
En première année, j’ai effectué mon alternance au sein des Aciéries Hachette et Driout (AHD). Cette entreprise est l'une des aciéries les plus fiables et les plus compétitives d'Europe. J’ai pu évoluer au sein du département « Méthode et Métallurgie » ou je devais étudier les différentes influences de la chimie et du traitement thermique sur les propriétés mécaniques des aciers faiblement alliés. Ce fut une expérience très enrichissante qui m’a permis de découvrir le milieu de l’aciérie et donc de parfaire mes connaissances en métallurgie. Cela m’a également permis d’avoir une vision plus globale de ce qu’est une chaîne de production, des problématiques qui peuvent en découler et de l’importance de la logistique.
En 2ème et 3ème années, j’ai évolué au sein d’une autre entreprise en intégrant Saipem SA pour laquelle je travaille aujourd’hui. Durant la dernière année d’alternance à Saipem, j’ai été chargée de créer un outil de calcul pour l’évaluation des équipements sous pression (pipeline) présentant des défauts ou des dommages, en me basant sur la procédure API 579-1 de l’American Petroleum Institute. Cette dernière, tout comme la procédure BS 7910 de British Standard, est l’une des procédures les plus utilisées dans l’industrie pétrolière pour déterminer les critères d’aptitude au service, basés sur la mécanique de la rupture. Mon rôle a donc été aussi d’étudier les différences entre les solutions recommandées par les deux codes. De fait, de nombreuses questions se posent au sein des industries sur les différences entre les deux procédures, qui peuvent avoir un impact significatif sur les décisions finales.
Au-delà de l’expérience terrain très riche dont vous nous faites part et qui est rendue possible grâce à l’alternance, pouvez-vous également nous parler de la spécificité des enseignements? Quelle en est l’approche globale?
Pour illustrer mon propos, je vais vous parler de deux projets sur lesquels nous avons travaillé en équipe:
Le premier projet s’est déroulé dans le cadre d’un projet européen : My Pack - Programme Horizon 2020; Il consistait à introduire un nouveau bioplastique dans l'emballage alimentaire : le Polyéthylène Furanoate (PEF) dont les propriétés sont actuellement mal connues. Nous avons effectué un travail de recherche sur 6 mois, en collaboration avec le laboratoire PIMM (ENSAM) et AVABiochem, avec pour objectif premier d’obtenir une meilleure compréhension des relations Structure versus Propriétés et d’améliorer l'application des films en PEF dans l'emballage alimentaire.
Nous avons donc travaillé à :
- Construire un cahier des charges en prenant en considération plusieurs paramètres (temps/moyens)
- Caractériser le nouveau polymère biosourcé
- Etudier ses propriétés thermiques
- Mesurer l’influence du phénomène de cristallisation sur les propriétés barrières au gaz.
A l’issue de ces 6 mois de travail, l’ensemble de notre démarche, les hypothèses émises et les résultats obtenus ont été félicités par un Jury composés de nos enseignants-chercheurs et nous avons obtenu le premier prix du projet d’expertise matériaux !
Le second projet académique
Il concernait la sélection des matériaux et portait sur l
a conception d’une prothèse de hanche.
Ce projet nous a permis de :
- Découvrir et d’étudier le fonctionnement de la prothèse, ses mécanismes d’usure, et les problématiques liées à son implantation dans le corps humain
- Mettre en place un cahier des charges, en procédant à une veille scientifique pour peaufiner notre sélection des matériaux
- Construire un argumentaire solide en vue d’obtenir un financement fictif pour la conception
- Présenter dans toute ses dimensions le projet finalisé devant auditoire
Au cours de ce projet, nous avons eu la chance d’assister de manière hebdomadaire à
des séminaires industriels (proposés aussi toutes les semaines pendant les 3 ans), animés par des ingénieurs, chercheurs qui nous ont parlé de leur travail, en nous faisant bénéficier de leurs expériences. Nous avons aussi abordé les diverses compétences et
savoirs transversaux qui sont fondamentaux dans la formation :
la communication, l’éthique de l’ingénieur, la gestion de projet, l’économie, etc. Ces deux exemples montrent la diversité des sujets étudiés au sein de la formation d’ingénieur du Cnam ! Elle permet
une réelle immersion dans le travail et nous prépare à appréhender sereinement la voie envisagée et le milieu professionnel!
Quels conseils Formation donneriez-vous aux futurs ingénieurs Cnam? Et pour finir, le fait d’être une femme ingénieure dans le domaine des Matériaux industriels, qu’en diriez-vous?
Tout d’abord, premier point, je dirais aux futurs ingénieurs qui vont s’inscrire au Cnam de profiter au maximum des environnements dans lesquels ils vont être immergés pendant trois ans. De profiter également de l’expérience des enseignants - chercheurs et des divers intervenants qui ont tous un bagage et une expérience scientifique solide. En outre et au-delà de la base technique que l’on acquiert, je dirais que le plus important à mon sens, c’est d’apprendre à apprendre ! De fait, beaucoup de choses passent par l’échange et il ne suffit pas de lire ses cours pour être ingénieur. Enfin, j’ajouterais comme conseil qu’il faut être curieux et attentif et veiller à s’organiser avec rigueur. Il est en effet très facile d’être dépassé par la charge de travail dans le cadre d’une alternance.
Ensuite deuxième point, le fait d’être une femme n’a jamais été un frein, ni dans ma formation, ni dans mon évolution professionnelle. Il est cependant vrai que ce milieu souffre encore d’un manque de mixité. Les métiers de l’ingénierie ont de tous temps étaient très occupés par les hommes, l’histoire le confirme. Il faut se rappeler que les femmes n’ont eu le droit d’intégrer des écoles d’ingénieurs qu’à partir de 1919 et qu’il faut attendre les années 70 pour constater une présence certaine des femmes dans les formations d’ingénieurs. Malheureusement des préjugés à l’encontre des femmes ingénieures persistent et beaucoup d’elles ont tendance à instaurer leurs propres barrières. Des études montrent que l’auto-efficacité des hommes - croyance d'un individu en sa capacité de réaliser une tâche -, reste nettement supérieure à celle des femmes, à performances et à compétences égales ! Heureusement, les femmes cessent progressivement de se sous-estimer. De fait, de plus en plus de femmes sont attirées par des parcours d’ingénieurs. À titre d’exemple, notre promotion d’ingénieurs en matériaux comptait 11 femmes pour 6 hommes!
J’encouragerais donc les femmes qui hésitent encore à se lancer dans une formation d’ingénieur à s’interroger sur leurs propres hésitations! Et pour finir, je leur dirais d’avoir confiance car l’ingénierie est un métier d’avenir et que, nous les femmes, nous avons tous les atouts et toutes les capacités pour le façonner! Que la gent féminine saisisse avec confiance, détermination et en toute légitimité les opportunités qui s’ouvrent à elle dans le monde de l’ingénierie!