Parcours d’un projet de recherche : en route pour Bruxelles !

Suivons le parcours de Matthieu Montes dans sa course aux financements européens de l’ERC…ou comment donner envie à d’autres de nos chercheurs de se lancer !

Chercheur au parcours atypique, c’est par un BTS de biochimie à l’École supérieure des techniques de biologie appliquée que Matthieu Montes a débuté ses études supérieures. Son parcours universitaire le conduit ensuite à être diplômé de l’université Paris Diderot-Paris 7 en biochimie et bioinformatique. En 2007, il obtient son doctorat en sciences pharmaceutiques à l’université Descartes (Paris 5) avec pour sujet de thèse le Développement et les applications de méthodes de drug-design et de criblage in silico.

Matthieu Montes est aujourd’hui maître de conférences au Cnam, soutient très prochainement son habilitation à diriger des recherches et poursuit sa recherche au sein du laboratoire GBA : Génomique, bioinformatique et applications du Cnam.
 

Le laboratoire GBA, créé en 2010 et dirigé par Jean-François Zagury a pour but la découverte de nouveaux médicaments. Le laboratoire a la particularité d'associer des bioinformaticiens génomiciens avec des bioinformaticiens spécialistes de la conception de médicaments (le drug design). De plus, le laboratoire est très proche des applications industrielles car il travaille en aval avec plusieurs start-ups. Cette proximité avec l'expérimentation permet de tester rapidement et efficacement les composés identifiés par drug design.

Matthieu Montes participe à des projets transverses avec d’autres laboratoires du Cnam comme le CMGPCE (équipe chimie moléculaire) et le Cedric (équipes Interactivité pour lire et jouer et Méthodes statistiques de fouille de données et apprentissage). Il définit le projet qu’il souhaiterait faire financer par l’Europe, dans le cadre du programme Horizon 2020, comme « son plus beau projet ». Celui-ci tourne autour du rôle central de la représentation des systèmes dans leur modélisation et découle à la fois des travaux menés avec Guillaume Levieux du Cedric sur le projet Udock et à la fois de ses recherches sur le calcul haut-débit et la simulation d’interactions entre les macromolécules. Il s’agit d’un projet de recherche fondamentale.
 

Comme de nombreux chercheurs, l’une des missions de Matthieu Montes est la recherche de financement pour ses projets. Il nous raconte ici le parcours du jeune chercheur répondant à un appel à projet du Conseil européen de la recherche : l’ERC (European Research Council).

C’est, après la lecture d’un mail de la cellule veille du Service de la recherche regrettant le nombre peu élevé de projets français déposés devant l’ERC, qu’il décide de se lancer dans l’aventure. Il dépose alors un projet inédit qu’il envisage comme le point de départ d’un projet beaucoup plus vaste, presque « un projet de vie », et à qui l’ERC pourrait donner vie en finançant sa première étape, sur cinq ans.

Matthieu Montes a alors moins de trois mois devant lui pour préparer et envoyer son dossier de candidature tout en poursuivant ses activités d’enseignant-chercheur. Il concourt dans la catégorie Starting grants réservés aux chercheurs ayant acquis deux à sept ans d’expérience depuis l’obtention de leur doctorat. Le financement de l’Europe peut aller jusqu’à un million et demi d’euros par projet. L’utilisation par les chercheurs de ces fonds très importants fait l’objet d’un contrôle très rigoureux de la part de l’ERC et ce, jusqu’à dix ou quinze ans après la fin du projet.
Les projets financés par l’ERC, à la différence de l’ANR, sont des projets de recherche hauts risques/hauts gains ; des projets ambitieux dont la finalité n’est pas assurée mais qui peuvent potentiellement être des « ruptures technologiques ». Ils se divisent en trois catégories disciplinaires
  • Social Sciences and Humanities (SH)
  • Life Sciences (LS)
  • Physical and Engineering Sciences (PS)
qui sont elles-mêmes sous-divisées en vingt-cinq sections disciplinaires.
L’ERC récompense les meilleurs chercheurs européens en mettant à leur disposition des fonds extrêmement importants, mais aussi en leur offrant une reconnaissance à l’échelle internationale. Obtenir un financement de l’ERC aura une influence positive sur toute la carrière d’un chercheur.
Le dossier de candidature compte trois formulaires :
Le formulaire A, administratif, comporte une description de l’établissement et du laboratoire d’accueil. Il doit être visé par la plus haute autorité de l’établissement du chercheur qui doit également certifier que si le chercheur obtient le financement, il pourra mener à bien le contenu du projet au sein de l’établissement.
Les formulaires B1 et B2 qui sont des formulaires scientifiques :
 
Puce catalogueDans le formulaire B1, le chercheur doit présenter un résumé de sa recherche en cinq pages, un curriculum vitae de deux pages assorti de deux pages supplémentaires sur ses travaux et réalisations. Il y présente également ses distinctions, la valorisation de son travail et ses publications. Il revêt une forme très particulière et certains chercheurs n’hésitent pas à faire appel à des rédacteurs spécialistes de ce type de dossier. La rédaction du formulaire B1 doit s’écrire avec en tête l’idée qu’il peut « se suffire à lui-même ». Pour décrire ce formulaire, Matthieu Montes parle d’ « une sorte de teaser ». En effet, le formulaire B2 ne sera ouvert que si les rapporteurs ont sélectionné le candidat par rapport au formulaire B1. Celui-ci passe alors au second tour. Les formulaires B2 des candidats non sélectionnés au premier tour ne seront donc jamais examinés par les membres des jurys des appels à projets de l’ERC.
Puce catalogueLe formulaire B2 est une présentation plus précise du projet du chercheur. Il se compose de quinze pages. Il présente notamment la structure financière du projet, l’allocation des moyens et les très nombreux détails techniques utiles à sa réalisation ; c’est un véritable cahier des charges du projet présenté sur ses cinq années de mise en pratique. La présentation de résultats préliminaires n’est pas forcément nécessaire et les projets peuvent être fondamentaux ou appliqués.

Une fois le dossier de candidature déposé par notre chercheur fin mars, il devra attendre le mois de mai pour savoir si son dossier est rejeté. Ne pas avoir de retour de l’ERC est donc une bonne nouvelle !

Matthieu Montes nous explique alors que pour lui, avoir déposé et donc formalisé son projet est déjà une victoire en soi car cet exercice contraignant et difficile, assez proche finalement du business plan, lui a permis d’avancer dans l’organisation de sa recherche avec son équipe au laboratoire GBA. Il met notamment en avant le travail de bibliographie sur des thèmes connexes au projet réalisé pour l’occasion. Celui-ci lui aura aussi permis de situer sa recherche dans un champ très large et de confirmer que son projet est réellement innovant. De façon plus globale, il a aujourd’hui une vision très éclairée de son sujet.

Fin juin, Matthieu Montes reçoit la réponse concernant son éligibilité au premier tour.
Il ne s’agit pas seulement de savoir si l’on est reçu ou pas, mais aussi de connaître sa note : A, B ou C. Un chercheur obtenant un B ne pourra pas présenter de projet dans le même grant pendant un an et celui ayant obtenu un C, pendant deux ans. Présenter son projet demande donc une réflexion importante et la certitude qu’il est assez abouti, quitte parfois, à attendre une année de plus afin d’éviter la note C qui bloque le chercheur les deux années suivantes.

Matthieu Montes apprend donc qu’il est retenu pour le second tour, qui dans le cas des ERC starting grants, consiste en un exposé oral devant un jury, en anglais bien sûr. À ce moment-là, il sait que l’épreuve aura lieu en octobre mais il n’a reçu aucun retour sur son dossier. La préparation de l’oral se fait donc totalement à l’aveugle. La date, l’horaire et les informations pratiques concernant l’épreuve orale lui sont communiqués à la mi-juillet : l’épreuve dure trente-cinq minutes dont quinze dédiées à sa présentation et vingt aux questions du jury. La pression commence alors à monter pour notre chercheur dont la lecture de ce message a rendu les choses très concrètes et qui va voir son programme de l’été bouleversé par cette échéance !
Si le chercheur retenu au premier tour est assuré de l’intérêt et de la faisabilité de son projet, il n’a néanmoins aucune idée de son positionnement par rapport aux autres jeunes chercheurs en compétition car il n’aura à aucun moment l’occasion de les rencontrer avant le jour J. Il sait seulement que sur les 3 000 dossiers déposés l’an passé, moins de 10% ont été retenus.

Entre alors en scène Aviesan : l’alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, qui organise des épreuves d’oraux blancs pour les chercheurs français sélectionnés au premier tour. Matthieu Montes décide de participer et reçoit sa convocation pour début septembre.

On lui communique également la liste des membres du jury qui compte des anciens lauréats des ERC calls (starting grant et consolidator) et des directeurs de recherche du CNRS et de l’Inserm mais il n’en connaît aucun personnellement. Les conditions sont donc réunies pour que cette épreuve test soit la plus ressemblante possible à l’originale qui l’attend en octobre. Matthieu Montes rencontre alors pour la première fois les autres chercheurs français sélectionnés sur trois sections, dix personnes en tout, et plus particulièrement, les quatre chercheurs de sa section. Ce qui va rendre cette journée encore plus instructive est le fait que les chercheurs assistent aux présentations des uns et des autres et peuvent profiter des remarques et commentaires des membres du jury après leurs passages. Les thèmes abordés et les profils des chercheurs sont variés (chercheurs à 100% ou enseignants-chercheurs, recherches appliquées ou fondamentales, etc.). Découvrir les projets des autres concurrents est aussi un moyen de se situer en termes d’expérience ou de contenu de projets.

Un mois plus tard, Matthieu Montes prend donc la route de Bruxelles où il est attendu au siège de l’ERC pour son épreuve orale.
Le jour J, il est demandé aux chercheurs d’arriver une heure avant l’horaire de leur convocation. Ils doivent être munis de quinze exemplaires de leur présentation en version papier à destination des membres du jury, ainsi que du document en pdf diffusé pendant l’épreuve. Une fois arrivé au comptoir d’accueil de l’élégant bâtiment de l’ERC, situé Place Rogier et ce, après avoir passé le portail de sécurité, le candidat doit alors régler un certain nombre de démarches administratives qui prennent du temps. Il est bon à savoir que celles-ci peuvent être traitées après le passage à l’oral. Au comptoir d’accueil, notre chercheur rencontre un condisciple physicien israélien (oui, Israël fait partie de l’Europe de la recherche comme elle fait partie de l’UEFA ou de l’Eurovision !) puis est dirigé vers la salle d’attente où il retrouve alors ses collègues et concurrents. L’attente peut être longue, selon son horaire de passage, et le stress se fait alors réellement sentir jusqu’au moment où le candidat pénètre dans la salle d’examen : il est alors debout face aux treize membres du jury assis autour d’une grande table. Le support visuel du candidat est projeté sur un petit écran et un autre indique le décompte du temps de parole. La présentation débute sans préambule et dure quinze minutes. À la fin de celle-ci, les membres du jury commencent à poser leurs questions. Ils ont à leur disposition le rapport fait par les rapporteurs dans le cadre du premier tour. Les questions sont nombreuses, très différentes ; parfois extrêmement pointues et d’autres fois déstabilisantes. Le chercheur est amené à argumenter et se justifier sur tous les aspects de son projet. Après vingt minutes, l’épreuve orale est terminée et voici Matthieu Montes sur la route du retour pour Paris et le Cnam. Il faudra patienter jusqu’à la fin du mois de novembre pour connaître la décision finale de l’ERC…

Une première conclusion s’impose alors d’elle-même, qu’il s’agisse des personnels impliqués dans l’établissement en général, dans le laboratoire en particulier et bien sûr, du chercheur lui-même, tous s’accordent sur les importants bénéfices que leur a déjà apporté cette candidature. Pour la première fois, un enseignant-chercheur du Cnam a été retenu au premier tour d’un ERC call ; avec Matthieu Montes et son équipe, le Cnam joue dans la cour des grands !