Le travail artistique de Joseph Lambert
La représentation
de la privation sensorielle
En dessinant Annie Sullivan et Helen Keller, Joseph Lambert a su transcender leur formidable récit de vie en mobilisant la syntaxe de la bande dessinée, la puissance de son mode de narration et le potentiel de représentation graphique qu’offre le neuvième art. La réussite de l’entreprise artistique de Joseph Lambert repose sur un paradoxe évident: la bande dessinée est une forme visuelle et muette qui pourrait sembler inadaptée à mettre en scène la cécité et la surdité. Plus précisément, il s’agit d’une forme narrative, qui fonctionne grâce à l’identification du lecteur aux personnages: l’image que nous regardons, nous ne la voyons pas comme témoin extérieur, mais comme la vit un personnage du récit.
Mais comment voir une scène dans la peau d’un personnage qui ne voit pas, qui n’entend pas? Comment faire ressentir la privation du sens de la vue à un lecteur qui adhère au récit par la vue?
Joseph Lambert a inventé des solutions narratives et graphiques originales pour mettre en scène la cécité de l’intérieur (Helen) et de l’extérieur (son entourage) ainsi que la relation entre la personne handicapée et le monde qui l’entoure.
Quand nous sommes avec Helen, nous percevons par l’oeil tout ce qu’elle perçoit par d’autres sens, mais rien de plus: ce qui est à l’image représente exactement ce qu’elle perçoit. Helen ressent son enveloppe charnelle, ce qui est en contact avec son corps, ce qu’il ingère. Et c’est précisément cela que nous montre Joseph Lambert.
Tout le monde conçoit ce que sont la cécité et la surdité; le récit de Joseph Lambert nous permet de les ressentir.
Les ténèbres d’Helen
Nous faisons la connaissance d’Helen dans un monde deténèbres. C’est une silhouette aux contours incertainsqui se meut dans un noir épais.
D’autres formes émergent de ce noir lorsqu’Helen les touche: une table, une chaise, de la nourriture, puis les bras et les mains d’un autre être.
C’est ainsi que Joseph Lambert représente la façon dont Helen est au monde: n’existe que ce qu’elle peut toucher ou goûter.
Elle même ne ressent rien de son être que la forme de soncorps et la surface en contact avec ce qui n’est pas elle.
Le lien entre
les mots et les choses
Stimulée par la persévérante Annie, Helen répète inlassablement les signes. Elle finit ainsi par faire une découverte qui change sa vie: les mots qu’elle signe ne correspondent pas aux sensations qu’elle éprouve au contact des choses mais ils ont un lien direct avec ces choses elles-mêmes. Autrement dit, le monde existe au delà de ce qu’elle en perçoit.
Dans l’épisode crucial de la pompe à eau, Joseph Lambert fait d’abord figurer dans la même case le signe E.A.U. et la sensation qu’éprouve Helen au contact de l’eau.
Dans la case suivante figurent ensemble la sensation éprouvée au contact de l’eau et l’objet EAU.
Enfin apparaissent ensemble le signe E.A.U. et diverses manifestations de l’objet EAU: le signe et l’objet sont en relation directe, sans que la sensation n’entre en jeu.
Un monde peuplé de mots
Parce qu’elle peut enfin nommer les choses et les êtres qui l’entourent, Helen sait qu’elles existent même lorsqu’elles sont hors de portée. En peuplant son univers invisible avec les mots qu’elle apprend avec enthousiasme, Helen en repousse les frontières de jour en jour. Joseph Lambert fait évoluer la représentation dumonde d’Helen en figurant les objets par leurs noms.
Les ténèbres d’Helen
Helen a désormais des yeux dans son monde intérieur: alors qu’elle n’était qu’un contour dans les ténèbres, Joseph Lambert ajoute désormais deux points noirs dans son visage. A sa façon, elle regarde enfin le monde.
En apprenant la langue des signes, Helen acquiert aussi une voix, pour questionner et décrire le monde qu’elle découvre. Ces sont les mains qui parlent, mais c’est la voix singulière d’Helen Keller que le dessinateur fait figurer dans les bulles.
Planche 5 et 6 et 7 © Editions ça et là / Editions Cambourakis
Extraits des planches 34 et 35 © Editions ça et là / Editions Cambourakis
Planche 35 et 36 © Editions ça et là / Editions Cambourakis
Planche 41 © Editions ça et là / Editions Cambourakis
Extrait des planches 42 et 58 © Editions ça et là / Editions Cambourakis
Extrait de la planche 39 © Editions ça et là / Editions Cambourakis
Extrait de la planche 58 © Editions ça et là / Editions Cambourakis
Extraits des planches 34 et 35 © Editions ça et là / Editions Cambourakis
Planche 35 et 36 © Editions ça et là / Editions Cambourakis
Planche 41 © Editions ça et là / Editions Cambourakis
Extrait des planches 42 et 58 © Editions ça et là / Editions Cambourakis
Extrait de la planche 39 © Editions ça et là / Editions Cambourakis
Extrait de la planche 58 © Editions ça et là / Editions Cambourakis
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