Ada Lovelace : la princesse des algorithmes
1 août 2024
Ada Lovelace, Britannique passionnée dont le nom est aujourd’hui associé au langage de programmation informatique Ada, compte parmi les grandes figures de l’histoire de l’informatique. Œuvrant au XIXe siècle, à l’époque où faire des mathématiques est considéré comme une affaire d’hommes, elle collabore avec le mathématicien Charles Babbage pour développer une machine à calculer. Ce faisant, elle comprend intuitivement le rôle des algorithmes. Son histoire touchante est belle parce que fortuite, et méconnue.
Fille du célèbre poète romantique Lord Byron, Ada Lovelace est considérée aujourd’hui comme l’inventrice du premier algorithme informatisé. En plein âge industriel, alors que la machine fascine l’humain, les mathématiques n’échappent pas à la mécanisation. Dans les années 1830, Ada Lovelace collabore avec le mathématicien britannique Charles Babbage au développement de la machine de Babbage, qui préfigure les ordinateurs modernes. En particulier, elle écrit un algorithme destiné à être réalisé par la machine de Babbage, et qui sera considéré comme le premier programme informatique de l’Histoire.
Une « machine à penser »
Au début des années 1830, Ada Lovelace et sa mère, Anabella Milbanke, baronne de Wenworth, contemplent une machine étrange, d’environ 60 cm de hauteur, fabriquée avec 2 000 engrenages en laiton empilés et entrelacés en une architecture subtile. Fascinée, Lovelace écoute les explications de Charles Babbage (1791-1871), inventeur de cet objet singulier aux reflets dorés qu’il nomme machine à différences. La jeune femme ne sait pas encore que cette machine va changer le cours de sa vie et l’histoire des mathématiques. Elle n’a alors que 18 ans et paraît frêle, marquée par plusieurs années de maladie dans son adolescence. Charles Babbage, quant à lui, se passionne pour le calcul automatisé. Depuis plus de dix ans, il tente de trouver un moyen d’effectuer mécaniquement des calculs et d’éviter ainsi les erreurs humaines.
Sa première machine à différences était conçue pour calculer tout polynôme (une équation faite uniquement de produits et de sommes, et qui contient une ou plusieurs inconnues, de forme a0+ a1x + a2x2 +… + anxn) jusqu’à un certain degré n et des valeurs x très grandes, en utilisant la méthode dite des différences. La machine passe ensuite automatiquement les valeurs en revue et imprime les résultats, écartant ainsi tout risque d’erreur humaine. Anabella semble parfaitement comprendre le fonctionnement de ce prototype qu’elle surnomme la « machine à penser ». La mère d’Ada était en effet férue de mathématiques – Lord Byron l’avait d’ailleurs surnommée « la princesse des parallélogrammes ». Une passion qu’elle a fait en sorte de transmettre à sa fille par son éducation.
Ada Lovelace et les mathématiques
Après avoir contemplé la machine à différences de Babbage, Lovelace aurait décidé, paraît-il, de consacrer sa vie aux mathématiques. Elle étudie les travaux des grands mathématiciens Laplace et Euclide, avant de donner quelques cours à des jeunes filles. À l’une d’elles, elle écrit en 1834 que leur relation va enfanter « une correspondance mathématique sentimentale […] édifiante pour l’illumination des hommes – ou celle des femmes ». L’attitude d’Ada Lovelace, comme le révèle ce trait d’esprit, atteste une sensibilité moderne, bien que réservée, à contre-courant des mœurs patriarcales de l’Angleterre victorienne. Lovelace rencontre également Mary Sommerville, figure populaire et scientifique de l’époque, traductrice des livres de Laplace. Leur amitié semble décisive dans son apprentissage des mathématiques.
En 1839, Ada Lovelace commence à travailler avec le célèbre mathématicien Augustus De Morgan, professeur au University College de Londres, qui accepte d’être son tuteur. La démarche est inhabituelle pour l’époque – Lovelace est une femme et n’est plus en âge d’étudier. Mieux vaut donc rester discret. La jeune femme demande au mathématicien de ne pas mentionner son nom dans leurs échanges. Elle doit aussi se résigner à ne pouvoir accéder à la prestigieuse bibliothèque de la Royal Society, réservée aux hommes.
Brillante, Lovelace prend rapidement de l’assurance : « Je crois, écrit-elle à sa mère, que je possède une combinaison bien singulière de qualités, qui semblent parfaitement ajustées pour me prédisposer à devenir une exploratrice des réalités cachées de la Nature. »
Le premier algorithme
Lovelace s’interroge : le jeu de solitaire pourrait-il « être mis en équation, et résolu » ? Voilà un premier pas vers l’algorithmique. Après l’avoir un temps sous-estimée, Charles Babbage engage une correspondance avec Lovelace. Il tente alors de transformer sa « machine à différences » initiale en « machine analytique », capable de réaliser des calculs plus avancés et, surtout, qui serait programmable.
Lovelace s’interroge : le jeu de solitaire pourrait-il « être mis en équation, et résolu » ? Voilà un premier pas vers l’algorithmique. Après l’avoir un temps sous-estimée, Charles Babbage engage une correspondance avec Lovelace. Il tente alors de transformer sa « machine à différences » initiale en « machine analytique », capable de réaliser des calculs plus avancés et, surtout, qui serait programmable.
En 1840, Charles Babbage est invité à donner un séminaire à Turin sur son moteur analytique, la seule explication publique qu’il ait jamais donnée de sa machine. Pendant la conférence de Babbage, le mathématicien Luigi Menabrea rédige un compte rendu du moteur en français. Un ami de Babbage, Charles Wheatstone, suggère à Lovelace de traduire ce compte rendu, et Babbage lui conseille d’ajouter des annexes, qu’elle compila à la fin de sa traduction sous la forme d’une série de sept notes étiquetées de A à G. Ces notes constituent des travaux originaux de Lovelace. La plus célèbre est la note G qui est un algorithme informatique conçu pour calculer les nombres de Bernoulli, utilisés à l’époque sous forme de tables pour résoudre des équations complexes.
Cette note est généralement considérée comme le premier algorithme spécifiquement destiné à un ordinateur, ce qui fait de Lovelace la première programmeuse informatique de l’histoire. Sans le savoir, elle vient d’inventer le premier logiciel de l’ère moderne ! Il consiste en une suite de calculs, incluant des symboles mathématiques, que la théorique machine analytique pourrait opérer. Elle a très vraisemblablement été influencée par une autre invention qui fascina les ingénieurs de l’époque : le métier à tisser inventé par Joseph-Marie Jacquard en 1801. Son trait de génie ? Des cartes perforées pour indiquer à la machine, telles des cartes mémoires, le schéma à suivre.
Sa correspondance avec Babbage devient alors frénétique, faite de courtes notes, un peu comme un échange d’e-mails aujourd’hui – la Poste londonienne relève alors le courrier 6 fois par jour ! « Je travaille si dur pour vous, comme le Démon en fait ! Et peut-être le suis-je ? », écrit-elle à l’inventeur, alors que sa note sur les nombres de Bernoulli prend de plus en plus la forme d’un algorithme qu’elle confierait à la machine.
Une pionnière injustement oubliée
Charles Babbage s’appropria l’invention, même s’il ne construira jamais la machine analytique. Aujourd’hui, certains historiens persistent à attribuer l’invention d’Ada Lovelace à Charles Babbage. Lovelace n’avait en effet pas signé ses notes, mais ajouté simplement ses initiales « A.A.L », une mention tristement mal recopiée qui, dans la version publiée deviendra « A.L.L », ne permettant pas de l’identifier comme source de l’idée.
Ada Lovelace s’éteignit à l’âge de 37 ans, probablement d’un cancer. L’infirmière Florence Nightingale, autre grande figure féminine des mathématiques au XIXe siècle, écrivait à propos de la santé fragile de Lovelace : « On disait qu’elle n’aurait jamais pu vivre aussi longtemps, fût-ce l’aide de la vitalité formidable de son esprit, qui ne voulait pas mourir. »
Selon ses vœux, Ada Lovelace repose auprès de son père, Lord Byron. Puisque le poète surnommait la mère d’Ada « princesse des parallélogrammes », suggérons modestement pour sa fille, comme elle le mérite, le titre de « princesse des algorithmes ».