Capteur quantique miniature multi-axe pour la navigation inertielle
Le projet Capteur quantique miniature multi-axe pour la navigation inertielle porté par un enseignant-chercheur du Cnam vient d’être récompensé par une bourse de recherche collaborative financée par l'Université de Rutgers (États-Unis) pour un montant de 10 000 USD.
Le projet réunit Malo Cadoret, enseignant-chercheur au Laboratoire commun de métrologie LNE-Cnam (LCM), et chercheur associé à l'ONERA, et Xuejian Wu, professeur au Department of Physics de la School of Arts and Sciences-Newark aux États-Unis.
Malo Cadoret sur Google Scholar
Alors que les investissements dans le domaine des technologies quantiques connaissent une forte expansion, et que la compétition scientifique et technologique est féroce au niveau international, les deux chercheurs ont décidé de collaborer sur un axe de recherche commun à savoir le développement d’une centrale inertielle quantique miniature, dont le fonctionnement intrinsèque repose sur la mécanique quantique, une théorie cadre de la physique.
Le contexte ? Vers la navigation inertielle atomique...
La navigation inertielle est une technique permettant de déterminer la trajectoire d’un véhicule en intégrant les équations du mouvement à partir des mesures d’accélération et de rotation fournies par une centrale inertielle. La centrale inertielle comprend les instruments de navigation à savoir 3 accéléromètres et 3 gyromètres qui permettent après intégration des mesures de remonter à la position, l’orientation et la vitesse du véhicule. Cette technique n’impliquant pas de signaux externes pour fonctionner, elle est dite autonome. Cet instrument est donc crucial pour les applications ou le système de positionnement par satellite comme le GPS n’est pas accessible tels que les sous-marins ou les missions spatiales loin de la Terre. Il est également utilisé dans des applications critiques ou l’on veut parer une perte ou un piratage du signal GPS comme dans l’aéronautique ou la défense. L’erreur sur l’estimation de la trajectoire du véhicule est directement liée à la qualité des capteurs inertiels (accéléromètres et gyromètres) utilisés dans la centrale. Dans un avion de ligne, par exemple, l'instabilité de ces capteurs inertiels se traduit par une erreur de quelques centaines de mètres après une heure de vol.
Dans ce contexte, les capteurs inertiels quantiques basés sur l’interférométrie atomique se distinguent des autres technologies de capteurs inertiels par l’exactitude de leur mesure, leur sensibilité et leur grande stabilité puisque leur fonctionnement repose de façon intrinsèque sur les lois de la physique quantique. Ces capteurs semblent donc bien adaptés à des applications hautes performances qui ne reposent pas sur le GPS comme la navigation sous-marine et permettraient également un guidage beaucoup plus précis.
Qu'est-ce qu'un capteur inertiel basé sur l’interférométrie atomique ?
Les capteurs inertiels basés sur l’interférométrie atomique sont des instruments qui utilisent le caractère ondulatoire des atomes pour mesurer des accélération ou rotations. Le principe de la dualité onde-corpuscule postule qu’à toute particule massive peut être associée un paquet d’onde (dite onde de de Broglie) qui peut être manipulé de façon similaire aux ondes lumineuses en optique. Une onde atomique est ainsi séparée en deux ondes qui empruntent deux chemins différents, et que l’on recombine en un point pour les faire interférer. Le signal d’interférence obtenu est alors très sensible à d’infimes modifications de l’environnement et en particulier aux forces inertielles telles que les accélérations et rotations du fait que les atomes ont une masse. Dans les expériences d’interférométrie atomique, les ondes de matière sont des atomes refroidis par laser au niveau du micro-kelvin, c’est-à-dire le millionième de degré au-dessus du zéro absolu. Ces températures ultra-froides permettent d’accroître le temps de mesure et donc d’obtenir une plus grande sensibilité.
À ce jour, le degré de maturité de la technologie atomique est faible. A part le gravimètre atomique qui est un accéléromètre vertical, les autres capteurs inertiels constituant une centrale inertielle ont un degré de maturité faible avec uniquement des démonstrations sur des expériences de laboratoires. La taille de ces instruments (de l’ordre du mètre) est encore trop importante pour qu’ils puissent être embarqués à bord de véhicules, et ne sont pas encore assez robustes vis-à-vis de l’environnement vibratoire rencontré sur un avion ou un bateau.
Dans ce contexte, le Laboratoire commun de métrologie LNE-Cnam (LCM) se distingue par sa collaboration avec le département DPHY de l’ONERA en ayant participé aux premières mesures de gravité en mer et dans les airs à l’aide d’un gravimètre quantique embarqué (Quand les technologies quantiques prennent le large).
Le LCM poursuit d’ailleurs cette collaboration dans le cadre de la thèse de doctorat de Jeanne Bernard qui vise à développer une centrale inertielle atomique hybride embarquable.
L'objectif : développer une centrale inertielle atomique miniature !
Le projet de collaboration avec l’équipe du Professeur Xuejian Wu aux États-Unis a pour but de participer au développement d’une centrale inertielle atomique miniature (taille centimétrique) embarquable permettant de mesurer les accélérations et rotations dans les 3 directions de l’espace. La collaboration permettra d’enrichir conjointement les deux laboratoires en participant au développement d’une centrale inertielle atomique de taille réduite utilisant des schémas de réalisation innovants.
Ainsi, le dispositif utilisera par exemple un piège magnéto-optique de géométrie pyramidale (cf. photo) pour le refroidissement des atomes, permettant de réduire drastiquement l’encombrement du système.
Ce type de géométrie a préalablement été testé par le Professeur Wu durant ces années de recherche post-doctorales dans le groupe de Holger Müller à l’Université de Berkeley. De son côté, le LCM apportera son expertise expérimentale et théorique sur la mise en œuvre de la technique des « oscillations de Bloch » pour manipuler les ondes de matière dans l’interféromètre afin d’accroître la sensibilité de la centrale inertielle, tout en réduisant la taille du dispositif.
Les résultats attendus ?
Compte-tenu de l’enjeu de ces recherches, les sensibilités attendues sur les mesures inertielles d’accélération et de rotation restent à la discrétion des chercheurs.
À terme, cette collaboration devrait donner lieu à des publications dans des revues internationales à comité de lecture et à facteur d’impact élevé – la crème de la crème de la publication scientifique – mais aussi, à des brevets !
Au LCM du Cnam, tout est dans la mesure...
Le laboratoire commun de métrologie LNE-Cnam (LCM) (EA 2367) est un laboratoire commun au Cnam et au Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE). Les recherches appliquées du laboratoire visent à : préfigurer l'évolution scientifique des définitions des unités de mesure, avec notamment des mesures ultimes de constantes physiques fondamentales ; mettre en place et valider par comparaisons internationales les références françaises, à l’aide de dispositifs originaux les plus exacts possibles ; imaginer, développer et caractériser des méthodes instrumentales innovantes pour créer et disséminer les références et pour assurer la traçabilité des mesures.
Lexique
Accéléromètre
Un accéléromètre est un capteur sensible aux accélérations. Une accélération est une variation de vitesse par unité de temps mesurée en (m.s-2).
Capteurs inertiels
Un capteur inertiel est un instrument qui permet de mesurer des grandeurs inertielles comme par exemple l’accélération ou la rotation.
DPHY
Le Département physique, instrumentation, environnement, espace (DPHY) de l'ONERA, conçoit des instruments innovants et évalue certains environnements aérospatiaux et leurs conséquences sur les systèmes embarqués.
Gyromètre
Un gyromètre est un capteur sensible aux vitesses de rotation. La vitesse de rotation correspond à une variation d’angle par unité de temps mesurée en (rad.s-1).
Piège-magnéto optique
C'est un dispositif qui utilise à la fois le refroidissement d'atomes par laser et le piégeage magnétique afin de produire des échantillons d'atomes « froids », à des températures pouvant aller jusqu'à quelques micro-kelvins.
Sources : M. Cadoret, Wikipédia