Questions à Marie-Christine Bureau & Sylvie Rouxel du laboratoire de sociologie économique Lise
Marie-Christine Bureau et Sylvie Rouxel nous parlent du projet Picri autour de l’étude d’un fab lab parisien : La Nouvelle Fabrique
Au-delà de La Nouvelle Fabrique, c’est tout le mouvement makers qu’elles observent et cherchent à comprendre. Elles nous en expliquent les origines, son fonctionnement et nous parlent de son avenir et de ses enjeux : comment cette vaste nébuleuse peut-elle s’organiser pour conserver la liberté de faire qui est toute l’essence de cette mouvance.
Au-delà de La Nouvelle Fabrique, c’est tout le mouvement makers qu’elles observent et cherchent à comprendre. Elles nous en expliquent les origines, son fonctionnement et nous parlent de son avenir et de ses enjeux : comment cette vaste nébuleuse peut-elle s’organiser pour conserver la liberté de faire qui est toute l’essence de cette mouvance.
Qu’est-ce qu’un projet Picri et comment est-il né ?
Un Picri (partenariat institutions citoyens pour la recherche et l’innovation) est un projet financé par la région Île-de-France dans le but d’encourager des partenariats entre des acteurs dits de la société civile et des laboratoires de recherche, dans une logique de co-production des savoirs. Notre projet est né d’une rencontre avec Vincent Guimas de l’association Ars Longa puis d’une volonté de réfléchir ensemble aux enjeux propres à ces lieux de fabrique. Il a démarré en 2012 pour une durée de trois ans avec un financement total de 258 300,00€.
Qu’est-ce que La Nouvelle Fabrique ?
C’est un lieu regroupant toute la chaîne de production : conception graphique d’un objet par un designer, prototypage, conception physique, vente et même au-delà, en ouvrant la possibilité de la rencontre avec la personne qui vient de l’extérieur dans la boutique, pour acheter ou pour voir. Il s’agit de lier la micro-industrie à son territoire social et urbain. La Nouvelle Fabrique doit affronter les difficultés liées à l’ancrage dans un quartier particulier, au travers d’un lieu qui est lui-même situé dans une institution culturelle municipale (à visée internationale) avec des exigences et un cahier des charges précis : faire de l’éducation populaire et du lien social en accueillant la population du quartier, tout en touchant également la communauté de la culture maker et enfin, en faisant de cette micro-usine une entité économique auto-suffisante ; en somme un vrai «mouton à cinq pattes» !
Comment intervenez-vous dans le projet et au-delà, dans la mouvance à laquelle il appartient, en tant que sociologues et chercheuses ?
Notre équipe est composée de plusieurs personnes aux profils et terrains de recherche très différents :
Manola Antonioli qui est philosophe et enseigne en école d’art et de design, tout en poursuivant des travaux sur l’esthétique de l’objet et son implantation dans le monde urbain.
Sylvie Rouxel qui observe l’appropriation du lieu en questionnant l’ancrage territorial et les populations locales pour voir si au-delà de la communauté des hackers et de la communauté des designers qui se réunissent en tant que spécialistes du design ou de l’architecture, il existe un rayonnement effectif du lieu sur les populations extérieures.
Marie-Christine Bureau qui travaille aussi avec Isabelle Berrebi-Hoffmann et Michel Lallement, également chercheurs au Lise, autour de plusieurs aspects :
L’aspect travail : dans quelle mesure se réinvente le travail dans ces lieux ? Car il s’y joue un autre rapport au travail, une autre façon de le concevoir et de le vivre.
L’interrogation autour des formes d’organisation de ces espaces dans lesquels se constituent des collectifs non hiérarchiques ; il n’y a pas de chef ou de lien de subordination. Ce sont des collectifs qui coopèrent. Comment gèrent-ils ces lieux ? Comment prennent-ils les décisions ?
Et puis il y a un enjeu par rapport au territoire : comment ces lieux s’implantent-ils dans les territoires et comment se mettent-ils en réseau ?
Au-delà du lieu, nous nous intéressons à la mouvance makers dans son ensemble. Voir comment les acteurs de La Nouvelle Fabrique se situent par rapport aux autres acteurs de ce milieu et ce, aussi bien dans des espaces de fabrication que dans des festivals en France et à l’étranger qui sont des lieux de rassemblement de la mouvance. Enfin, il y a la dimension « rencontres » et c’est pour cela que nous avons organisé les Ateliers des possibles, au Cnam, l’année dernière : l’idée est de réunir différents acteurs du mouvement et des chercheurs qui s’intéressent à ces questions pour mener un peu plus loin la réflexion sur les enjeux et l’avenir du mouvement.
Quelles sont aujourd’hui les principales observations que vous pouvez tirer de l’étude de La Nouvelle Fabrique ?
Concernant les publics, nous avons découvert un espace complètement « oxymore », concret et virtuel à la fois, très difficile à observer avec nos outils. Observer ce lieu multidimensionnel et rendre compte de sa réalité n’a pas été évident car les outils de méthodologie classique ne lui étaient pas adaptés et il a fallu en « bricoler » des nouveaux. Cette remise en question forcée a été très intéressante car cela nous a obligé à réfléchir à notre métier de sociologue. Dans ce projet, on est acteurs-participants.
Nous avons observé comment s’entrecroisaient dans ces projets des trajectoires très différentes, et des mondes en train de s’enchevêtrer : il y a d’un côté des jeunes issus d’écoles d’ingénieurs ou formés en informatique qui, suite à une sorte de prise de conscience politique, se voient amenés à refuser complètement un destin d’exécutant de haut niveau dans une grande organisation et à souhaiter autre chose, adoptant ainsi la philosophie du libre. D’un autre côté, il y a des jeunes qui viennent des écoles d’art et de design et des milieux de l’architecture mais qui ont toujours eu une familiarité avec la technique, le numérique et qui n’ont jamais eu peur de cela. Ils se rendent bien compte que dans tous ces métiers de la création, le numérique est en train de bouleverser complètement les choses et plutôt que de laisser cette vague-là leur déferler dessus, il faut mieux la prendre à bras le corps et explorer ce nouveau monde. Enfin, il y a un troisième milieu qui rejoint la mouvance markers : celui de l’éducation populaire. Il y a beaucoup de proximité entre les valeurs de l’éduction populaire et les valeurs que l’on trouve dans la communauté du libre avec un bémol concernant la dimension « libertaire » qui n’est pas présente au même degré dans l’éducation populaire. Aujourd’hui on observe des rapprochements qui se font et des nouveaux projets se montent à la croisée de ces univers-là.
Pouvez-vous nous décrire la grande mouvance à laquelle appartient La Nouvelle Fabrique ?
La Nouvelle Fabrique appartient à toute une mouvance de lieux qui se créent dans la ville, mais aussi en milieu rural ; ils portent le nom de fab lab, hacklab, hackerspace, micro-usine, etc. Ils sont des lieux de fabrication équipés d’un certain nombre d’outils dont des machines à commande numérique mais on y trouve aussi des machines ou des outils de bricolage classiques. Ces lieux s’ouvrent là où des gens habitent pour leur permettre de venir eux-mêmes fabriquer des choses, mener des projets ou simplement se rencontrer. L’ouverture, le lieu d’échange et de partage est la valeur principale à tous les niveaux : aussi bien dans la proximité territoriale que virtuelle via les réseaux sociaux avec la construction d’une communauté de hackers ou de designers qui se retrouvent en vue de co-travail ou d’échange de connaissances et ce, gratuitement.
Le mouvement makers qui englobe cette mouvance prend ses racines dans la rencontre entre la communauté du libre (le logiciel libre du monde de l’informatique) et la philosophie du do it yourself. Il revendique aussi une filiation avec les mouvements arts and crafts du XIXème siècle en Angleterre (mouvements qui s’opposaient à l’industrialisation). Ce qui est intéressant, c’est que l’on observe aujourd’hui une conjonction de ces mouvements et que ces lieux sont fréquentés par des gens qui viennent d’univers variés. Ce mouvement est présent dans de nombreux pays et ce, quel que soit leur niveau de développement.
Quand et où est né ce mouvement ?
On a vu apparaître les premiers hackerspaces en Californie dans les années 1970 autour de la micro-informatique. L’Allemagne a joué un rôle important avec la création à Berlin, il y a trente ans, du Chaos Computer Club. En France il y a eu dès les débuts de la micro-informatique des réseaux souterrains, souvent installés dans des squats, comme Les tanneries à Dijon, où des gens venaient et se rassemblaient pour monter leur micro-ordinateur. Mais le mouvement n’est apparu que très récemment au grand jour avec, par exemple, le TMP Lab, premier hackerspace en Île-de-France et qui date de 2007. Les premiers fab labs, eux, datent de 2009. Nous avons vu, ces trois dernières années, exploser autour de nous la dynamique de création de ces lieux.
Existe-t-il un modèle économique commun derrière tous ces lieux rattachés à la mouvance makers?
Non et c’est justement cela qui est intéressant !
Alors qu’est-ce qui relient tous ces lieux ?
C’est un mouvement qui fonctionne beaucoup sur le mode de l’essaimage, qui dans son ensemble peut être qualifié de «rhizomique» ou être assimilé à une «nébuleuse».
La référence au monde du libre est sans doute le principal dénominateur commun à tous ces lieux. Cela a des implications aussi bien sur le plan militant (défense de la libre circulation du savoir) que sur le plan de la culture. Ces lieux sont à la fois ouverts et fermés, régulés par des règles propres et organisés horizontalement, c’est-à-dire sans hiérarchie pyramidale. Concrètement, les acteurs s’inspirent de ce qu’ils voient dans un lieu pour créer ailleurs un lieu singulier adapté à leur territoire et à leur public. Il s’agit beaucoup moins de transposer un modèle que de contribuer à provoquer de nouvelles rencontres et ce, avec une réflexion, un échange, un partage d’expérience. Ces nouveaux lieux bouleversent les relations entre trois notions qui, dans la période industrielle, avaient été strictement séparées : la conception, la fabrication et la consommation. Dans ces lieux, cela peut être remis en jeu mais de façon différente à chaque fois et pour l’instant, sans converger vers un modèle unique.
Concernant les publics, nous avons découvert un espace complètement « oxymore », concret et virtuel à la fois, très difficile à observer avec nos outils. Observer ce lieu multidimensionnel et rendre compte de sa réalité n’a pas été évident car les outils de méthodologie classique ne lui étaient pas adaptés et il a fallu en « bricoler » des nouveaux. Cette remise en question forcée a été très intéressante car cela nous a obligé à réfléchir à notre métier de sociologue. Dans ce projet, on est acteurs-participants.
Nous avons observé comment s’entrecroisaient dans ces projets des trajectoires très différentes, et des mondes en train de s’enchevêtrer : il y a d’un côté des jeunes issus d’écoles d’ingénieurs ou formés en informatique qui, suite à une sorte de prise de conscience politique, se voient amenés à refuser complètement un destin d’exécutant de haut niveau dans une grande organisation et à souhaiter autre chose, adoptant ainsi la philosophie du libre. D’un autre côté, il y a des jeunes qui viennent des écoles d’art et de design et des milieux de l’architecture mais qui ont toujours eu une familiarité avec la technique, le numérique et qui n’ont jamais eu peur de cela. Ils se rendent bien compte que dans tous ces métiers de la création, le numérique est en train de bouleverser complètement les choses et plutôt que de laisser cette vague-là leur déferler dessus, il faut mieux la prendre à bras le corps et explorer ce nouveau monde. Enfin, il y a un troisième milieu qui rejoint la mouvance markers : celui de l’éducation populaire. Il y a beaucoup de proximité entre les valeurs de l’éduction populaire et les valeurs que l’on trouve dans la communauté du libre avec un bémol concernant la dimension « libertaire » qui n’est pas présente au même degré dans l’éducation populaire. Aujourd’hui on observe des rapprochements qui se font et des nouveaux projets se montent à la croisée de ces univers-là.
Pouvez-vous nous décrire la grande mouvance à laquelle appartient La Nouvelle Fabrique ?
La Nouvelle Fabrique appartient à toute une mouvance de lieux qui se créent dans la ville, mais aussi en milieu rural ; ils portent le nom de fab lab, hacklab, hackerspace, micro-usine, etc. Ils sont des lieux de fabrication équipés d’un certain nombre d’outils dont des machines à commande numérique mais on y trouve aussi des machines ou des outils de bricolage classiques. Ces lieux s’ouvrent là où des gens habitent pour leur permettre de venir eux-mêmes fabriquer des choses, mener des projets ou simplement se rencontrer. L’ouverture, le lieu d’échange et de partage est la valeur principale à tous les niveaux : aussi bien dans la proximité territoriale que virtuelle via les réseaux sociaux avec la construction d’une communauté de hackers ou de designers qui se retrouvent en vue de co-travail ou d’échange de connaissances et ce, gratuitement.
Le mouvement makers qui englobe cette mouvance prend ses racines dans la rencontre entre la communauté du libre (le logiciel libre du monde de l’informatique) et la philosophie du do it yourself. Il revendique aussi une filiation avec les mouvements arts and crafts du XIXème siècle en Angleterre (mouvements qui s’opposaient à l’industrialisation). Ce qui est intéressant, c’est que l’on observe aujourd’hui une conjonction de ces mouvements et que ces lieux sont fréquentés par des gens qui viennent d’univers variés. Ce mouvement est présent dans de nombreux pays et ce, quel que soit leur niveau de développement.
Quand et où est né ce mouvement ?
On a vu apparaître les premiers hackerspaces en Californie dans les années 1970 autour de la micro-informatique. L’Allemagne a joué un rôle important avec la création à Berlin, il y a trente ans, du Chaos Computer Club. En France il y a eu dès les débuts de la micro-informatique des réseaux souterrains, souvent installés dans des squats, comme Les tanneries à Dijon, où des gens venaient et se rassemblaient pour monter leur micro-ordinateur. Mais le mouvement n’est apparu que très récemment au grand jour avec, par exemple, le TMP Lab, premier hackerspace en Île-de-France et qui date de 2007. Les premiers fab labs, eux, datent de 2009. Nous avons vu, ces trois dernières années, exploser autour de nous la dynamique de création de ces lieux.
Existe-t-il un modèle économique commun derrière tous ces lieux rattachés à la mouvance makers?
Non et c’est justement cela qui est intéressant !
Alors qu’est-ce qui relient tous ces lieux ?
C’est un mouvement qui fonctionne beaucoup sur le mode de l’essaimage, qui dans son ensemble peut être qualifié de «rhizomique» ou être assimilé à une «nébuleuse».
La référence au monde du libre est sans doute le principal dénominateur commun à tous ces lieux. Cela a des implications aussi bien sur le plan militant (défense de la libre circulation du savoir) que sur le plan de la culture. Ces lieux sont à la fois ouverts et fermés, régulés par des règles propres et organisés horizontalement, c’est-à-dire sans hiérarchie pyramidale. Concrètement, les acteurs s’inspirent de ce qu’ils voient dans un lieu pour créer ailleurs un lieu singulier adapté à leur territoire et à leur public. Il s’agit beaucoup moins de transposer un modèle que de contribuer à provoquer de nouvelles rencontres et ce, avec une réflexion, un échange, un partage d’expérience. Ces nouveaux lieux bouleversent les relations entre trois notions qui, dans la période industrielle, avaient été strictement séparées : la conception, la fabrication et la consommation. Dans ces lieux, cela peut être remis en jeu mais de façon différente à chaque fois et pour l’instant, sans converger vers un modèle unique.
Est-ce que l’essor de chacun de ces lieux ne risque pas de les faire disparaître car cela irait à l’encontre du concept de base ?
C’est une question qu’ils se posent eux-mêmes. L’État et de grandes entreprises commencent sérieusement à s’intéresser à ce mouvement. Pour ces lieux, l’enjeu aujourd’hui est d’arriver à s’organiser sans se laisser organiser par les autres. Notre projet se situe aussi dans l’idée de participer à cela, c'est-à-dire de réfléchir avec les acteurs du mouvement au devenir possible de ces lieux et à la façon dont ils peuvent affronter ces enjeux-là sans en rabattre par rapport à leur volonté d’autonomie en confrontation avec la logique des grandes organisations et puis aussi, par rapport à la dimension institutionnelle, étatique, qui dicte ses propres règles.
Comment l’État s’intéresse-t-il aux fabs labs ?
Citons principalement l’appel à projets Aide au développement des ateliers de fabrication numérique lancé en 2013 par Fleur Pellerin, alors ministre déléguée aux PME, à l'innovation et à l'économie numérique. Cet appel à projets montre que l’État a pris la mesure de ce qui est en train de se jouer mais il était ambigu car dans le cahier des charges il est demandé que ces lieux soient à la fois des lieux d’éducation populaire, de transmission des connaissances et des technologies et en même temps des lieux tournés vers le monde de l’entreprenariat, voire des lieux au service des entreprises. Néanmoins, cet appel à projets a remporté un grand succès et cela a montré l’ampleur du mouvement. Parmi les projets sélectionnés, les acteurs historiques du mouvement étaient mal représentés et certains projets retenus sont très éloignés idéologiquement de la mouvance originelle. On voit ici l’effet pervers que pourrait avoir l’implication de l’État dans le petit monde des fab labs.
Dans le même ordre d’idée, existe-t-il un cadre juridique adapté à ces lieux ?
Aujourd’hui il n’y a pas de cadre juridique spécialement adapté à ces espaces pluriels si différents les uns des autres. Certains ne veulent d’ailleurs sans doute pas que cela change... L’aspect «nomade», la souplesse de ces structures et leur liberté de mouvement pourraient être amoindris par un encadrement trop strict ; ce sont les principes de l’autonomie temporaire et de l’invisibilité qui risqueraient de disparaître.
Ces lieux sont-ils réellement ouverts à tous ?
Cette question de l’ouverture est l’une des tensions très fortes dans le milieu : l’ouverture à tous est l’un des concepts de base de ces lieux créés par les acteurs de la communauté du libre mais aujourd’hui tous ne respectent pas cette idée. Citons l’exemple de la création de fab lab au sein d’écoles d’ingénieurs et réservés aux élèves ingénieurs. Cette question prend également des formes extrêmement concrètes comme, par exemple, la gestion des clés si ces lieux ne sont pas ouverts en permanence ou la sécurité avec l’accès à des machines potentiellement dangereuses…
C’est une question qu’ils se posent eux-mêmes. L’État et de grandes entreprises commencent sérieusement à s’intéresser à ce mouvement. Pour ces lieux, l’enjeu aujourd’hui est d’arriver à s’organiser sans se laisser organiser par les autres. Notre projet se situe aussi dans l’idée de participer à cela, c'est-à-dire de réfléchir avec les acteurs du mouvement au devenir possible de ces lieux et à la façon dont ils peuvent affronter ces enjeux-là sans en rabattre par rapport à leur volonté d’autonomie en confrontation avec la logique des grandes organisations et puis aussi, par rapport à la dimension institutionnelle, étatique, qui dicte ses propres règles.
Comment l’État s’intéresse-t-il aux fabs labs ?
Citons principalement l’appel à projets Aide au développement des ateliers de fabrication numérique lancé en 2013 par Fleur Pellerin, alors ministre déléguée aux PME, à l'innovation et à l'économie numérique. Cet appel à projets montre que l’État a pris la mesure de ce qui est en train de se jouer mais il était ambigu car dans le cahier des charges il est demandé que ces lieux soient à la fois des lieux d’éducation populaire, de transmission des connaissances et des technologies et en même temps des lieux tournés vers le monde de l’entreprenariat, voire des lieux au service des entreprises. Néanmoins, cet appel à projets a remporté un grand succès et cela a montré l’ampleur du mouvement. Parmi les projets sélectionnés, les acteurs historiques du mouvement étaient mal représentés et certains projets retenus sont très éloignés idéologiquement de la mouvance originelle. On voit ici l’effet pervers que pourrait avoir l’implication de l’État dans le petit monde des fab labs.
Dans le même ordre d’idée, existe-t-il un cadre juridique adapté à ces lieux ?
Aujourd’hui il n’y a pas de cadre juridique spécialement adapté à ces espaces pluriels si différents les uns des autres. Certains ne veulent d’ailleurs sans doute pas que cela change... L’aspect «nomade», la souplesse de ces structures et leur liberté de mouvement pourraient être amoindris par un encadrement trop strict ; ce sont les principes de l’autonomie temporaire et de l’invisibilité qui risqueraient de disparaître.
Ces lieux sont-ils réellement ouverts à tous ?
Cette question de l’ouverture est l’une des tensions très fortes dans le milieu : l’ouverture à tous est l’un des concepts de base de ces lieux créés par les acteurs de la communauté du libre mais aujourd’hui tous ne respectent pas cette idée. Citons l’exemple de la création de fab lab au sein d’écoles d’ingénieurs et réservés aux élèves ingénieurs. Cette question prend également des formes extrêmement concrètes comme, par exemple, la gestion des clés si ces lieux ne sont pas ouverts en permanence ou la sécurité avec l’accès à des machines potentiellement dangereuses…
Où en est le mouvement des fab labs et notamment La Nouvelle Fabrique ? Comment envisagez-vous leur développement futur ?
Nous sommes aujourd’hui à un point de convergence entre plusieurs facteurs : l’extension du mouvement makers à l’échelle internationale, une situation de crise économique durable qui entraîne l’obligation de consommer différemment. À cela, rajoutons le temps que des gens souhaitant une vie différente sont prêts à consacrer à ces projets ainsi que le désir de conserver un savoir-faire artisanal en voie de disparition. Enfin, il y a l’avènement d’Internet qui a considérablement accéléré les échanges. C’est tout cela que l’on retrouve dans ces espaces non institutionnels, ce qui fait d’eux des espaces de liberté temporaires ; une bulle d’oxygène.
Concernant l’avenir, les modèles économiques sont en phase d’expérimentation et de rodage. Vincent Guimas d’Ars Longa parle d’ « une phase d’éclosion » : dernièrement ces lieux sont apparus tous azimuts et aujourd’hui la question est de savoir comment s’organiser pour tenir dans la durée. On voit apparaître une deuxième génération de lieux qui sont beaucoup plus hybrides et composites ; c’est-à-dire qu’ils ont recherché des partenariats après s’être rendu compte que fonctionner tout seul est quasiment impossible. Parfois, ils se relocalisent ailleurs. C’est le cas de La Nouvelle Fabrique qui va quitter le centre de Paris pour Pantin, en banlieue parisienne et ce, en partenariat dans un espace appartenant à un centre de formation aux métiers du verre, donc en lien avec l’artisanat. L’avenir de ces lieux pourrait également passer par des partenariats avec de grandes entreprises mais il importe dans ce cas que les acteurs du mouvement gardent la main et ne deviennent pas des sous-traitants.
Le Picri touche à sa fin mais le travail de nos sociologues n’est pas prêt de s’arrêter et la suite s’annonce passionnante car si elles ont eu la chance d’observer la naissance de ce mouvement, elles vont maintenant pouvoir suivre son évolution et sa capacité à s’adapter à la société de demain sans pour autant perdre la liberté de faire qui est son essence.
Nous sommes aujourd’hui à un point de convergence entre plusieurs facteurs : l’extension du mouvement makers à l’échelle internationale, une situation de crise économique durable qui entraîne l’obligation de consommer différemment. À cela, rajoutons le temps que des gens souhaitant une vie différente sont prêts à consacrer à ces projets ainsi que le désir de conserver un savoir-faire artisanal en voie de disparition. Enfin, il y a l’avènement d’Internet qui a considérablement accéléré les échanges. C’est tout cela que l’on retrouve dans ces espaces non institutionnels, ce qui fait d’eux des espaces de liberté temporaires ; une bulle d’oxygène.
Concernant l’avenir, les modèles économiques sont en phase d’expérimentation et de rodage. Vincent Guimas d’Ars Longa parle d’ « une phase d’éclosion » : dernièrement ces lieux sont apparus tous azimuts et aujourd’hui la question est de savoir comment s’organiser pour tenir dans la durée. On voit apparaître une deuxième génération de lieux qui sont beaucoup plus hybrides et composites ; c’est-à-dire qu’ils ont recherché des partenariats après s’être rendu compte que fonctionner tout seul est quasiment impossible. Parfois, ils se relocalisent ailleurs. C’est le cas de La Nouvelle Fabrique qui va quitter le centre de Paris pour Pantin, en banlieue parisienne et ce, en partenariat dans un espace appartenant à un centre de formation aux métiers du verre, donc en lien avec l’artisanat. L’avenir de ces lieux pourrait également passer par des partenariats avec de grandes entreprises mais il importe dans ce cas que les acteurs du mouvement gardent la main et ne deviennent pas des sous-traitants.
Le Picri touche à sa fin mais le travail de nos sociologues n’est pas prêt de s’arrêter et la suite s’annonce passionnante car si elles ont eu la chance d’observer la naissance de ce mouvement, elles vont maintenant pouvoir suivre son évolution et sa capacité à s’adapter à la société de demain sans pour autant perdre la liberté de faire qui est son essence.
Pour aller plus loin
Marie-Christine Bureau
Sylvie Rouxel
Le Lise
Ars Longa
Le 104
La Nouvelle Fabrique
Les Ateliers des possibles
Les Picri
Sylvie Rouxel
Le Lise
Ars Longa
Le 104
La Nouvelle Fabrique
Les Ateliers des possibles
Les Picri
Isabelle Berrebi-Hoffmann, Marie-Christine Bureau, Michel Lallement, Fab Labs et Hackerspaces, l’invention d’une nouvelle culture du faire
Être dans le faire
Sylvain Bourmeau, La suite dans les idées - France culture, 31 janvier 2015