Être une chercheuse libérée, tu sais, c’est pas si facile… mais on y travaille !
Thierry Horsin est enseignant-chercheur, directeur de l’équipe pédagogique nationale Mathématiques et statistiques, Président du Conseil scientifique et membre du laboratoire M2N
Une vision très concrète de la lutte contre les stéréotypes source des inégalités femmes/hommes dans le monde de la recherche…
En premier lieu, il faut faire respecter la loi qui interdit, lors de procédures de recrutement, les questions relatives à la situation personnelle et familiale des candidat.e.s. Elle doit aussi s’appliquer au sein de l’université, lors des recrutements par des jurys.
Et faire respecter une parité d'au moins 40% de chaque sexe dans tous les jurys de concours (PRCM, doctorant.e.s, ATER, CNU PEDR).
Idem pour les représentations dans les conseils (conseils d’administration, scientifique, des formations, Conseil national des universités).
Ensuite, le monde de la recherche devrait suivre l’exemple du monde de l’entreprise en développant, par exemple, les crèches dans les établissements d'enseignement supérieur. Ce qui permettrait de libérer les femmes d’une partie des contraintes liées aux enfants qu’elles subissent beaucoup plus que les hommes.
Et, pourquoi pas imposer systématiquement des horaires de réunion entre 9h30 et 17h30 ; ce qui éviterait les remarques sur les enfants à aller chercher.
Enfin, nous devrions mieux prendre en compte certaines réalités et différences physiologiques. C’est déjà le cas pour la grossesse, évidemment, mais on devrait l’étendre aux dysménorrhées comme cela commence à être le cas dans bien des pays. [Au Japon, en Corée du Sud, à Taiwan, en Zambie ou encore, en Italie où une proposition de loi va être débattue au Parlement prochainement].
…et des idées pour inciter les jeunes femmes à se lancer dans une voie scientifique…
Travailler à la visibilité des femmes en obligeant, par exemple, la parité dans les corps d'inspection, discipline par discipline, y compris l'inspection générale de l’éducation nationale.
Une autre façon de présenter aux jeunes, des femmes à valeur d’exemple, serait de multiplier les interactions avec les sociétés savantes de femmes comme l’Association française des femmes ingénieures ou Femmes et mathématiques.
Enfin, être mère lorsque l’on est étudiante est, au mieux un frein, au pire un terme aux études alors mettre en place pour ces femmes un « salaire de l'État » et leur donner une place en crèche prioritaire pourrait y remédier à condition, bien sûr qu’elles justifient de leur présence aux enseignements.
Laetitia Flamard est doctorante en ergonomie au laboratoire CRTD
Quels sont le domaine et l’objet de votre recherche ?
Approcher de plus près le métier d'ordonnanceur.euse, c'est à dire l'activité des managers de différents niveaux hiérarchiques, qui participent à affecter des opérateur.rice.s sur des postes (ici de vente) en vue de produire le service. Plus particulièrement, la recherche se déroule dans un contexte particulier caractérisé par un environnement de production incertain et instable.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours en quelques mots ?
C'est à la suite d’une licence orientée vers la chimie et la biologie que je me suis tournée vers le domaine de l'ergonomie pour mettre en application mes connaissances notamment sur le fonctionnement humain afin d'améliorer les situations de travail. Lors de mon master en ergonomie réalisé à l'Université Paris Descartes (Paris 5), j'ai eu l'opportunité de faire un premier stage à la SNCF qui m'a permis de découvrir les spécificités et la complexité du monde ferroviaire. À l'issue de celui-ci, il m'a été proposé de poursuivre dans le cadre d'une thèse Cifre financée par une entreprise, ici la SNCF, portant de manière générale sur les liens entre "performances, organisation et facteurs humains" encadrée par Pierre Falzon et Adelaïde Nascimento du laboratoire CRTD du Cnam.
Avez-vous eu le sentiment de souffrir des stéréotypes liés au fait que vous soyez une femme ?
Du point de vue des études, non. Que ce soit en licence ou en master, le nombre de femmes et d'hommes était toujours égal ; ce qui favorise sûrement la réduction de ces stéréotypes.
En revanche, au sein de la SNCF, des stéréotypes perdurent et ce, plus particulièrement dans les activités industrielles du groupe…
Enfin, au sein de mon laboratoire, être une femme ne pose pas de problème. Parmi les doctorant.e.s, elles sont d’ailleurs majoritaires et, en général bien représentées dans l’ensemble de notre communauté scientifique.
Votre qualité de femme influe-t-elle sur votre activité de recherche ?
Dans certains terrains « très masculins » à la SNCF, j'ai dû légitimer ma position de chercheuse afin d'être intégrée au sein des équipes de travail, et de pouvoir mener à bien mes enquêtes de terrain.
Pour vous donner une idée, lors d’une de mes premières nuits d’observation, l’un des opérateurs m’a fait passer une sorte de « test » : vers 5 heures du matin, devant tous ses collègues, il m'a demandé (ordonné ?) d'aller lui faire son petit déjeuner comme toute « bonne femme »…
Des actions permettant de lutter contre les stéréotypes de sexe sont-elles menées autour de vous ? Ou comment y remédier ?
Actuellement, de nombreuses consœurs se sont engagées dans des postes visant à valoriser l'activité d'enseignement en ergonomie. Mais dans notre domaine aussi, même si les femmes sont présentes, vouloir se démarquer dans des postes à responsabilité demande, je pense, un travail de valorisation supplémentaire important.
Frédéric Boineau est chercheur au laboratoire LCM. Il a soutenu sa thèse en 2016 et a participé cette année au concours Ma thèse en 180 secondes
Selon moi, les stéréotypes source des inégalités femmes/hommes (que l’on pourrait également souvent qualifier de domination masculine) dans nombre de domaines, en particulier dans le monde de la recherche, sont profondément ancrées dans notre société, et à ce titre il me semble particulièrement difficile de faire évoluer les choses en laissant simplement faire le temps.
De mon observation personnelle, dans la génération des jeunes âgés d'une vingtaine d'années, les relations filles-garçons sont nettement plus égalitaires qu'il y a seulement 30 ans. Néanmoins les personnes décideuses dans le monde de la recherche (ou ailleurs) sont encore aujourd'hui plutôt issues des "anciennes générations". Alors, pour bouger les lignes, il me parait essentiel qu'une véritable politique soit mise en place au niveau des ressources humaines des établissements et instituts dans lesquels est mené de la recherche, pour ce qui concerne le recrutement, le suivi de carrière et pour veiller attentivement à lutter contre les discriminations. Dans le même temps, les responsables des différents services doivent évidemment être sensibilisés à cette politique.
Comme mes collègues, je pense que l’école a un rôle majeur à jouer : pour inciter plus de jeunes femmes à se lancer dans la recherche scientifique, l’on pourrait organiser des journées découverte de la science dans les lycées, lors desquelles la promotion de la recherche serait menée, à chaque fois, par une femme et un homme qui partageraient leur expérience avec les étudiant.e.s.
Sigrid Le Clerc est chercheuse en bioinformatique au laboratoire GBA
Quels sont le domaine et l’objet de votre recherche ?
Je travaille en génomique et le but de mon équipe est de trouver des gènes impliqués dans les maladies humaines afin de mieux les comprendre et de développer des stratégies diagnostiques ou thérapeutiques.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours en quelques mots ?
J’ai étudié la biologie jusqu’au master à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris 6). Puis j'ai poursuivi par une thèse au Cnam au cours de laquelle je me suis intéressée à la bioinformatique et à la génomique.
Avez-vous eu le sentiment de souffrir des stéréotypes liés au fait que vous soyez une femme ?
Je n'en ai pas personnellement souffert mais j'y ai été confrontée directement ou indirectement. Je connais plusieurs personnes travaillant dans les sciences qui ont subi des situations de discrimination positive ou négative envers les femmes. Dans les deux cas, ces discriminations étaient mal perçues car les critères retenus n'étaient en aucun cas professionnels.
Comment vous sentez-vous, en tant que femme, au sein de votre laboratoire et plus largement, au sein de votre communauté scientifique ?
Bien ! Mais de façon plus générale, dans ma communauté scientifique, il semble que les hommes soient plus représentés dans les postes à responsabilités. Les choses sont en train de changer...
Votre qualité de femme influe-t-il sur votre activité de recherche ?
Je ne pense pas que ma qualité de femme influence directement mon activité. Mais parfois des sensibilités différentes femmes/hommes peuvent apporter des visions différentes et donc des discussions et de bonnes idées !
En tant qu’enseignante ou encadrante de thèse, voyez-vous un changement arriver avec les nouvelles générations de chercheur.euse.s?
Je pense que le changement a débuté il y a quelques années et que je fais partie de cette génération. De mon point de vue, aujourd’hui, les lycéennes et les étudiantes se sentent plus libres de faire leur choix de carrière. Et je pense qu’elles peuvent aussi envisager de mener en parallèle carrière et vie personnelle. Concernant la bioinformatique, où les hommes sont largement représentés, je vois de plus en plus de femmes. Je suppose que le cliché de "l'informaticien" disparait peu à peu... De leur côté les hommes semblent de nos jours beaucoup plus ouverts au fait de voir des femmes en sciences et dans les postes à responsabilités.
Selon vous, quelles pourraient être les solutions permettant de voir plus de consœurs dans vos laboratoires demain ? Ou plus de consœurs à des « postes à responsabilité » ?
De mon point de vue, il est indispensable de pouvoir concilier vie personnelle et professionnelle et je pense qu’il est tout à fait possible de le faire. Il est donc pour moi nécessaire de communiquer sur cet aspect, afin que les femmes puissent se projeter dans des postes à responsabilités sans pour autant faire une croix sur leur vie de famille.
Dans le domaine scientifique, notamment en bioinformatique, certains clichés sont encore très présents et ce domaine reste encore très masculin. Je pense qu'il faut aussi communiquer sur cet aspect, notamment auprès des jeunes femmes, afin de leur montrer qu’on peut être informaticienne et féminine.
Boris Lossouarn est chercheur au laboratoire LMSSC et finit un post-doctorat en co-tutelle avec la Belgique (Université de Liège)
Je pense que la communication est un outil essentiel pour lutter contre les stéréotypes de sexe dans le monde de la recherche et notamment, dans celui des sciences de l’ingénieur.e. L'image que nous nous faisons de certains métiers est souvent injustifiée et un seul article ou entretien présentant le quotidien des personnes travaillant dans le domaine permettrait de montrer que même si la disparité femme/homme est parfois existante, elle vient souvent de préjugés sans lien avec notre activité réelle.
Et puis, comme le dit Thierry Horsin, je crois qu’il faut multiplier les échanges entre les jeunes, dès le collège et le lycée, avec nous, les scientifiques. Faire visiter nos laboratoires par exemple. C’est le meilleur moyen de vraiment comprendre ce qu'on y fait et de discuter avec les enseignant.e.s- chercheur.euse.s. Montrer, expliquer et peut-être, faire naître des vocations ou au moins, faire tomber les barrières et casser les idées reçues !
Par contre, contrairement à lui, je ne suis pas pour la parité obligatoire et les quotas dans les comités et jurys de sélection à l’université car dans un domaine comme le nôtre où les femmes sont moins représentées cela se fait au détriment de la pertinence et de la « valeur scientifique » des examinateur.rice.s. Quel que soit leur sexe, ce sont, avant toute chose, les spécialistes d’un domaine bien particulier que l’on doit faire intervenir.
Enfin, je conclurai par une observation liée à mon expérience belge : les filles et les femmes sont proportionnellement plus nombreuses dans les filières d’ingénierie. Peut-être une piste à suivre pour nous…