Sur les traces de l’open access, la publication scientifique 2.0
Discussion sur le thème de l’open access avec Ghislaine Chartron, enseignante-chercheuse en sciences de l’information et de la communication et directrice de l’Institut national des sciences et techniques de la documentation (INTD), Pascale Heurtel, adjointe à l'administrateur général pour le patrimoine, l'information et la culture scientifique, Thierry Horsin, enseignant-chercheur en mathématiques et statistiques et Michel Terré, enseignant-chercheur en électronique et président d'HESAM Université.
La recherche scientifique et plus globalement « la science », passent par les revues scientifiques et ce mouvement de l’« open access », « accès libre » en français, renverse totalement le modèle économique ancestral du lecteur-payeur sous prétexte de donner un accès totalement libre à tout le monde et à tout, divisant au passage les communautés scientifiques nationales et européennes. Des grands éditeurs opportunistes aux petits éditeurs en voie de disparition, des chercheurs pro-open science aux réfractaires, ceux-ci allant même jusqu’à refuser de publier, au risque de ralentir leurs carrières, des archives ouvertes abandonnées aux documentalistes 2.0 ; c’est l’ensemble du monde de la recherche qui doit changer ses habitudes pour s’adapter à un nouveau modèle à la fois complexe parce que protéiforme et en perpétuelle évolution et dont les balises et les codes (juridiques, politiques et sociétaux) n’ont pas été fixés en amont.
Cet article, basé sur des entretiens croisés a pour objectif de tenter de comprendre ce mouvement, d’analyser ses origines, de pointer du doigt ce qui fait qu’il fracture les communautés scientifiques et d’envisager son évolution dans un futur plus ou moins proche.
L’open access : qui est-il, d’où vient-il, quels sont ses réseaux ?
L’open access apparaît dans les années 1990, de façon conjoncturelle avec le développement du numérique et ses nouvelles potentialités de communication. Il est l’idée de repenser les modes de communication scientifique en profondeur : modèle économique, acteurs, formes éditoriales…
Au début, cela concerne des chercheurs, en mathématiques et physique notamment, qui, bien avant l’avènement d’internet, avaient déjà une profonde culture de l’échange et des réseaux de partage. Ils les ont ensuite élargis en créant des archives ouvertes et ce modèle a fini par se voir étendu à toutes les disciplines. Puis, les bibliothèques, avec leurs budgets restreints face à des abonnements parfois très chers, sont entrées en jeu, y voyant une opportunité de réduction des coûts. Elles ont été rejointes progressivement par les politiques qui envisagèrent l’open access comme une possibilité de retour sur investissement du financement de la recherche : le monde allait pouvoir voir le fruit des recherches subventionnées par l’État et l’apport de ces recherches à la société. Enfin, intervient de tout son poids l’innovation, maître-mot de notre époque qui s’accompagne de l’idée que tout le monde doit avoir accès aux résultats de la recherche financée par des fonds publics car elle doit, entre autres, alimenter les start-ups et le tissu économique. En arrière-plan, le politique toujours : l’Union européenne. Et si tout cela a chronologiquement balisé le mouvement open access, aujourd’hui, le plus fort est indéniablement le discours sur l’innovation.
Panique à la bibliothèque
Un modèle simple, un objet physique non dé-multipliable, du concret. L’ouragan de la dématérialisation des publications, après avoir balayé l’ancien modèle, a imposé une nouvelle logique : on n’achetait plus un objet physique mais seulement un droit d’accès à cet objet avec, en bonus, un certain nombre de questions. Celle des impacts juridiques sur le droit d’auteur, en premier lieu. Et puis, celle des coûts, bien sûr : si l'on peut calculer le coût d’un ouvrage (travail intellectuel des auteurs et de l’éditeur scientifique et coûts d’édition et de reprographie), qu’en est-il du coût de l’accès et de la démultiplication des accès ? La conséquence a été sans appel : une augmentation extraordinaire des coûts de cette documentation alors que les budgets des bibliothèques, eux, n’augmentent pas...
Les « coûts » donc, sont clairement le nerf de la guerre et le point qui cristallise toutes les réflexions sur l’open access pour les bibliothèques. Premièrement, comment les évaluer ? Ensuite, est-il normal et justifiable qu’ils augmentent autant ? Enfin, comment répondre à une demande qui augmente aussi considérablement entre les lecteurs en présentiel et ceux en ligne ? Pour en arriver à un constat sans appel : comment cela va-t-il, peut-il, continuer à fonctionner ?
Les bouquets, un cadeau empoisonné ?
Avant, les bibliothèques pouvaient mener de vraies politiques d’acquisition, y compris dans un contexte numérique. Une des explications à l’augmentation phénoménale des coûts des revues est que les éditeurs ont progressivement enlevé aux bibliothèques la possibilité de choisir les revues en imposant des « bouquets ». Comme ceux proposées pour la télévision, ils sont devenus de plus en plus gros. Mais la grande quantité de revues ne correspond pas forcément aux besoins d’une institution, ni à la qualité des revues souhaitées par ses chercheurs.
Ces bouquets induisent aussi le risque pour les bibliothèques de ne plus disposer de revues plus « exotiques », singulières, auxquelles elles s’abonnaient auparavant de façon souvent mutualisée (réseaux de bibliothèques) et de voir disparaître les « petits éditeurs ». Surtout si les abonnements aux revues des petites maison d’édition deviennent des variables d’ajustement. Ces énormes bouquets tendent donc à détruire les réseaux de bibliothèques qui fonctionnaient sur un système de panachage individuel mis à disposition des autres bibliothèques.
Plus largement, on touche à la question des échanges et interactions qui en disparaissant isoleront les chercheurs. Enfin, un ordinateur ne pourra jamais produire un travail d’accueil, de conseil et de bibliographie aussi qualitatif que celui fournit par les documentalistes. Ce manque d’échanges et de diversité est un des grands revers de médaille de l’open access et c’est pour lutter contre tous ces aspects que l’appel de Jussieu a été lancé.
Bibliothèques de tous les établissements, unissez-vous !
Le consortium Couperin reflète le principe de « l’union fait la force » : au lieu de laisser chaque bibliothèque universitaire négocier les prix des abonnements directement auprès des revues, elles se sont unies afin de réduire les coûts par le biais de groupements de commandes. Ce dispositif, à l’initiative des bibliothèques elles-mêmes, et non du gouvernement ou d’un ministère, date d’une dizaine d’année et s’est vu étoffé avec l’arrivée d’écoles, puis d’établissements de recherche, le CNRS en tête. Cette mutualisation de la négociation est efficace car en s’unissant, les sommes posées sur la table sont importantes, en tout cas assez pour que les revues ciblées proposent des coûts d’abonnement revus à la baisse.
Et puis la négociation Elsevier, à l’initiative du ministère, prit place. Il y a trois ans, ce dispositif de négociation ministériel a permis d’obtenir une licence nationale pour les revues de cet éditeur à des tarifs très intéressants. L’État, aux vues des économies réalisées, a décidé par la suite de diminuer la dotation des établissements pour leur documentation et ce, de façon assez peu consensuelle. En tout cas, leur donnant le sentiment qu’on les privait de leur liberté en matière de politique documentaire. Cette action, parfois vécue comme une « ingérence » de l’État, apparaît pour beaucoup comme contradictoire avec un enseignement supérieur qui tient à son indépendance et rejette une vision de la recherche jugée court-termiste.
On peut aussi considérer que c’est le numérique lui-même, ce nouveau modèle économique et sociétal, qui pousse à monter les négociations au plus haut niveau : l’idéal serait qu’un pays qui veut donner accès à ses collections raisonne au niveau global plutôt qu’établissement par établissement mais en ajoutant une nuance : en calculant effectivement quel établissement est intéressé. C’est ce qui s’est passé, par exemple, pour les « licences logiciels ». C’est aussi le cas de l’Allemagne, au moyen de son programme DEAL qui permet une négociation pour tout le pays. La négociation Elsevier se voulait l’amorce de ce genre de mouvement et tout repose donc sur une question de régulation des moyens : où prendre l’argent ?
Une réflexion à l’échelle européenne
Si partout en Europe, nous retrouvons la notion « à plusieurs, on est plus fort », il y a donc néanmoins de grandes disparités ; des tendances, voire des politiques, qui ne sont pas les mêmes et chacun passe beaucoup de temps à regarder ce qui se fait chez le voisin. Les impacts de chaque décision intra-nationale sont forts. Si, par exemple, un pays passe un contrat qui correspond à acheter le droit de lire, mais aussi le droit de publier en libre accès pour toutes et tous les chercheurs d’une institution, d’une région ou d’un pays, cela a un impact sur l’ensemble des acteurs internationaux. Et c’est actuellement la tendance forte au sein de l’Europe qui déploie sa vision par le biais de son programme Horizon 2020 qui préconise le 100% open science et donc, le 100% open access. Vision que certains jugent peu claire et concluante : lois sur le numérique floues, spécificités des publications scientifiques non prises en compte et disparités profondes entre les États-membres qui rendent la création d’une politique commune compliquée.
L’open access est d’argent mais le offsetting est d’or
L’open access gold, doré, repousse les limites encore un peu plus loin : pour qu’une publication soit en open access, en ouverture complète et donc gratuite pour le lecteur, l’idée fut donc de faire payer celle ou celui qui publie… On inventa donc l’auteur-payeur ! (À ne pas confondre avec le compte-d’auteur qui a mauvaise réputation dans l’édition classique : la qualité d’un article scientifique d’auteur-payeur n’est pas remise en question.)
Le offsetting désigne ce renversement de modèle et est déjà largement adopté dans les pays du Nord comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou encore la Grande-Bretagne. Et si le reste de l’Europe ne suit pas, il va vite y avoir un problème d’« asymétrie » : les pays ne pratiquant pas le offsetting vont se retrouver à payer deux fois : pour publier et pour consulter. Ce modèle a certes l’avantage de permettre à des pays pauvres de profiter des ressources publiées en open access par des pays riches mais l’inverse ne sera pas vrai et ils ne pourront toujours pas valoriser leurs productions scientifiques.
Une solution alternative passerait par une répartition par domaine scientifique des partages des ressources et/ou des coûts de publication et non par pays. Ce modèle existe déjà dans certains domaines scientifiques : chez les mathématiciens dotés de puissantes sociétés savantes internationales qui y œuvraient bien avant l’arrivée tonitruante du numérique ou encore chez les physiciens qui ont mis en place le projet SCOAP3 (Sponsoring consortium for open Access publishing in Particle physics) : leur accord permet à chaque pays de payer en fonction de ses moyens; donc les plus aisés acceptent de payer pour les plus pauvres rendant toutes les publications de la discipline accessibles à tout le monde.
Chercheurs et open access : je t’aime, moi non plus.
Une révolution des habitudes de travail.
1980 : j’arrive au bureau, un café rapide, on m’attend à la documentation. Je commande un article. Quinze jours plus tard, il est sur mon bureau. Mais tête de linotte, j’ai oublié une référence… Et c’est reparti pour quinze jours d’attente !
2018 : j’arrive au bureau, je bois mon café, ma barre Google ouverte. Cinq minutes plus tard, mes deux références sont enregistrées dans mon ordinateur et posées, imprimées, sur mon bureau.
Le chercheur travaille désormais en live. De ce point de vue-là c’est formidable !
Alors pourquoi, une levée de boucliers chez nos chercheurs allant jusqu’à lancer l’Appel de Jussieu sur lequel nous reviendrons un peu plus tard ?
Cette question est d’autant plus complexe que les visions idéologiques et les pratiques concrètes varient énormément selon les disciplines.
D’un point de vue concret, en sciences dites « exactes », tout le travail d’édition peut être fait par les chercheurs : une fois son article écrit, le chercheur l’envoie à un éditeur qui est souvent lui-même un chercheur. Les chercheurs ne sont pas rémunérés pour cela mais en tirent des gratifications au niveau de leurs carrières. L’« éditeur » a ensuite pour tâche d’envoyer l’article en relecture ou reviewing et va alors s’adresser à un professionnel de la discipline. Un troisième chercheur se retrouve donc reviewer. Reste à la maison d’édition le travail de mise en ligne à faire, a priori beaucoup moins coûteux que lorsque les revues étaient imprimées. L’article sera donc à disposition de la communauté scientifique via un accès payant.
Un tel système ne paraît pas viable à certains et même voué à disparaître d’autant que là, rien ne semble justifier l’augmentation du prix des abonnements à ces revues.
En sciences humaines, la vision est différente. Premièrement, peut-être parce que les abonnements aux revues coûtent souvent moins cher et ensuite parce que les coûts se voient mieux justifiés par le travail des éditeurs qui apparaît comme plus lourd que lorsque les revues n’existaient que sur le papier.
En général, le nombre d’articles a énormément augmenté, ils sont mis en ligne sur des plateformes internet complexes et coûteuses et doivent faire l’objet d’un minutieux travail de référencement. C’est un travail à part entière pour lequel les éditeurs se font aider de médiateurs spécialement formés pour cela. Il ne faut donc pas considérer uniquement les coûts du travail intellectuel ; celui de l’editor. Il faut prendre en compte le travail du publisher et les coûts du numérique (mise en forme, développement des services, des plateformes, référencement, etc.) qui sont considérables.
Une première piste expliquant le mécontentement des acteurs de la recherche pourrait être liée à la question de l’évaluation de la recherche elle-même : une des rares possibilités de quantifier et qualifier le travail des chercheurs passe par l’observation de leurs publications : nombre d’articles écrits et surtout, qualité et reconnaissance des revues dans lesquels ils sont publiés. Aujourd’hui l’open access donne la part belle à un autre critère : l’impact factor. Il s’agit de la visibilité d’une revue scientifique : l’impact factor est calculé en fonction du nombre de citations des articles de cette revue. Donc le chercheur a non seulement intérêt à publier au maximum mais aussi le plus possible en open access pour rendre ses articles les plus accessibles possible et donc les plus susceptibles d’être cités. Ainsi sa « côte » personnelle augmentera proportionnellement à l’augmentation de la côte de la revue dans laquelle il publie. Ainsi, le Facteur H ou H-index d’un chercheur-auteur, créé en 2005 par le physicien Jorge Hirsch, est l’indicateur d’impact des publications d’un chercheur ; il prend en compte son nombre de publications et le niveau de citations de ses publications. Inutile de préciser que cette évaluation purement quantitative de la recherche ne fait pas du tout l’unanimité auprès des chercheurs !
Donc quand ResearchGate, le Facebook des chercheurs, attribue des scores liés au nombre de téléchargements des publications des chercheurs ou quand, dans leurs candidatures professionnelles, les chercheurs précisent le nombre de citations, on ne peut que constater que la course aux publications est bel et bien lancée !
Accompagnée d’une diminution des moyens de la recherche, on observe ici une nouvelle forme de mise en concurrence des chercheurs avec l’idée sous-jacente qu’un chercheur doit produire des résultats ou analyses nouvelles et les diffuser en les publiant. Ainsi, une baisse de publication, par absence de recherche totalement novatrice peut, trop hâtivement être considérée comme synonyme d’une recherche moindre. Cela, ajouté à une notion de rapidité inhérente à la publication numérique, va à l’encontre de la vision de la recherche qu’ont beaucoup de ses acteurs.
Jouons au Juste prix !
En version papier ou numérique, un article a un coût. Et si le principe fondamental de l’open access est de rendre cet article totalement accessible, il doit donc être gratuit pour les lecteurs. Mais qui finance ? L’auteur. (On retrouve là le renversement de modèle économique évoqué plus haut.) Le coût de publication en open access est désigné par le terme APC : Article Processing Charge en anglais.
La publication en open access n’influe en aucun cas sur la qualité de l’article scientifique. Certaines revues en open access ont des taux de rejet très important et ne mettent en ligne des articles qu’au prix d’une sélection drastique.
Là où le bât blesse, c’est sur la question du « juste coût » …
Premièrement, comment expliquer les disparités de prix entre revues ? Sachant que les prix sont indépendants du niveau de prestige de la revue. Et en l’absence de critères, voire de grille d’évaluation des revues scientifiques.
Et puis, est-il acceptable de payer deux fois ? Dans le contexte de l’auteur-payeur comme évoqué plus haut ou lorsque, par exemple, un chercheur paye pour la publications d’actes de congrès dans une revue scientifique suite à des conférences qui sont elles aussi payantes.
Ensuite, quelle politique de recherche mener ? Une activité de recherche dense et de qualité entraîne la nécessité de disposer d’un budget conséquent pour publier les résultats en open access, un nombre important d’articles publiés permettant l’accroissement du rayonnement de l’équipe qui à terme, peut conduire à une augmentation de budget pour l’équipe toute entière.
Enfin, comment évaluer le juste prix de la documentation au sein d’un établissement où certains abonnements sont payés par la bibliothèque, d’autres par les laboratoires et ce, ajoutés aux frais des publications en open access, les APC ?
Le offsetting permet de solutionner un certain nombre de questions : il permet d’avoir une idée assez précise des coûts de par sa définition de « système global ». A minima, il évite les « coûts cachés ». Ensuite, il permet d’éviter de payer deux fois : une macro-analyse plus globale permettrait de mieux tracer les APC.
Focus sur l’appel de Jussieu : « Oui à l’ouverture, oui à la diversité, non aux APC ! »
« Bibliodiversité » est le maître-mot de l’appel de Jussieu rédigé par un « collectif français représentatif des chercheurs et des professionnels de l’édition scientifique regroupés notamment au sein des segments « open access » et « édition scientifique publique » de la Bibliothèque scientifique numérique (BSN) ». Il s’inscrit dans la lignée de la League of European Research Universities (LERU) et fait également suite à la déclaration commune de l’Unesco et de la Confederation of Open Access Repositories (COAR) qui met en lumière l’ensemble des difficultés soulevées par le modèle actuel.
Le but de ce collectif est de mettre fin au modèle dominant de publication des articles scientifiques tenu par quelques éditeurs qui imposent règles et prix aux chercheurs au détriment de la pluralité et diversité des acteurs scientifiques. Selon eux, l’argent investit dans les abonnements et droits à publier devrait plutôt l’être dans la recherche elle-même. Le financement de l’édition scientifique devrait passer « par soutien institutionnel, par implication ou souscription des bibliothèques, par commercialisation de services premium ».
Finalement, qui influence qui et comment ?
Un chercheur obtient des résultats et vise une revue particulière pour publier ou réfléchit en fin de projet à la revue la mieux adaptée à ses découvertes et résultats. Adapter ses travaux de recherche au moule induit par de grandes revues scientifiques a toujours existé et l’open access n’a pas renforcé cette stratégie de recherche marginale. En revanche, la multiplication des supports a induit une multiplication des publications qui, reliée à une multiplication des lecteurs potentiels, induit une augmentation potentielle de la diffusion des savoirs.
L’open access n’est donc pas un frein à la production scientifique, loin de là. Par contre, son coût peut l’être, nous l’avons déjà constaté. Et cela pose le problème du chercheur toujours plus confronté à des questions liées au financement, donc à des choix contraires au principe de base d’une recherche scientifique objective. Et si certes, une politique de publication est dépendante de contraintes budgétaires répondant ainsi à une vision extérieure, gouvernementale et politique de la recherche, celles-ci doivent être prises en compte mais ne peuvent être « seuls maîtres à bord ».
L’open access, n’est pas qu’un principe, c’est aussi une réalité matérielle et celle-ci passe par des plateformes. Il est observé un changement dans les habitudes des jeunes chercheurs directement lié à ces bibliothèques virtuelles qui en fait n’en sont pas. Chacun a une ou deux plateformes de prédilection et cette nouvelle logique créé des segments : auparavant les bases bibliographiques permettaient de faire des recherches de façon transversale en analysant toute la littérature scientifique. Aujourd’hui, l’on fait l’économie de ces bases bibliographiques et l’on va directement sur des plateformes de texte intégral : il n’y a plus que Google qui relie tout le monde.
Du point de vue des bibliothèques, l’open access a clairement mis un frein au système des archives ouvertes comme HAL. Pourtant celui-ci dépend directement de la volonté des établissements : si les dépôts reposent sur le principe de l’acte volontaire, certains établissements mènent des politiques visant à l’automatiser en ne prenant en compte pour l’évaluation de ses chercheurs, par exemple, que les publications déposées sur Hal. Cette décision peut alors reposer sur un principe militantiste face au mouvement open access, sur une volonté de visibilité des établissements ou seulement sur son utilisation comme outil de pilotage de la recherche. Sans cela, Hal perd tout son intérêt aux yeux des chercheurs notamment face aux offset deals ; c’est-à-dire quand toutes les publications sont déjà en open access.
Et l’avenir alors ?
Il faut faire attention à ce que les questions liées à l’open access et les discussions animées amenées par les pratiques de certains éditeurs, ne fassent pas oublier que l’édition, quelle qu’en soit sa forme, a un coût. Penser que la publication numérique est peu onéreuse et que son coût pourrait être intégré dans les budgets des laboratoires est dangereux. Il faut que le chercheur reste un chercheur et laisse le travail d’édition à ces professionnels. Sinon risqueraient de se voir entamer les valeurs fondamentales de l’édition scientifique, bien avant son ouverture, qui sont : l’indépendance, la diversité et la pluralité.
Quoi qu’il en soit, la publication a une durée de vie, une actualité, et doit être accessible par tous un certain temps mais un jour, elle devra être remisée et conservée. Cette question de préservation à long terme de l’information scientifique et technique reste plus que jamais d’actualité car il faut trouver de nouvelles solutions au fur-et-à-mesure que la technologie évolue.
Un autre grand chantier pour l’avenir est moins pratique : il s’agit de la réflexion sur le bien-fondé de ce mode de communication « ancestral » qu’est l’article. Est-ce que l’article, dans l’objectif de la progression de la science et de sa diffusion, est encore le type de modalité qu’il faut privilégier ? Et là, l’open science, qui va beaucoup plus loin que l’open access et est prônée par une partie de la communauté scientifique, parle déjà de modes de conversations scientifiques autres que le traditionnel article pour faire progresser la science. Les frontières, également, se brouillent : le concept de sciences citoyennes qui voit comme obsolète un schéma avec les chercheurs d’un côté et les citoyens de l’autre commence à prendre de plus en plus de place dans une société de la connaissance où des profanes atteignent parfois des niveaux de savoir aussi élevés que ceux des experts. Pour le moment, il faut des normes sociales, des moyens d’évaluer les chercheurs, de ponctuer et de laisser des traces et seul l’article arrive à répondre à ces exigences mais il est très certainement appelé à évoluer dans les années à venir.
De l’open access à l’open science, il n’y a qu’un pas… que nous allons franchir !
La science est produite dans des revues et en cela réside le fait qu’il est primordial, pour l’ensemble de la société, qu’on mette en place des garde-fous et qu’on essaye de contenir avec justesse et objectivité un développement tous azimuts de cette forme d’édition finalement pas si nouvelle mais en constante évolution, suivant le rythme effréné de la « révolution numérique ».
L’open access s’intègre, enfin, dans un mouvement bien plus large : celui de l’open science.
Tous les articles scientifiques s’appuient sur des données et actuellement le mouvement open science prône la publicité de ces données mais pour les accueillir, les contenir, les gérer, les protéger et supporter leurs coûts, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche devront s’emparer de cette question. Au Cnam, la réflexion est lancée et il est prévu, par le programme Cnam 2020, de rendre accessibles les données de la recherche en parallèle de l’ouverture des publications. Le dossier ouvert avec l’open access il y a une quinzaine d’année est donc loin d’être refermé !
D. Tribout
Juin 2018
Panorama presse
Quelques propositions de lecture pour creuser le sujet...
Stratégie, politique et reformulation de l’open access
Revue française des sciences de l'information et de la communication, Ghislaine Chartron
Open access et Open science en débat
Revue française des sciences de l'information et de la communication, Ghislaine Chartron et Joachim Schöpfel
Open access et SHS : Controverses
Revue européenne des sciences sociales, Ghislaine Chartron
Open Access : l'édition scientifique face à la gratuité des publications
ActuaLitté, 29 mars 2018
Transition vers l’Accès Libre: le piège des accords globaux avec les éditeurs
Mediapart, 13 avril 2018
Qui a peur de l'open access ?
Le Monde, 15 mars 2013
Appel de Jussieu : pour le libre accès des publications scientifiques
Siences et avenir, 13 novembre 2017
Revues scientifiques : quand les chercheurs se rebiffent
Les Échos, 19 juin 2018
Les défis des bibliothèques universitaires au cœur de l’enseignement, de l’apprentissage et de la recherche
archIMAG, 29 mai 2018
Finlande : Elsevier et les universités signent un accord pour plus d'accès ouvert
ActuaLitté, 23 janvier 2018
Belgique : Publications scientifiques en accès libre: "Est-ce légal?", demandent les éditeurs
RTBF, 17 avril 2018
Pays-Bas : Dutch Universities, Journal Publishers Agree on Open-Access Deals
The Scientist, 17 avril 2018
Chine : La Chine assoit son emprise sur les données scientifiques
Courrier international, 10 avril 2018
Suisse : stratégie nationale suisse Open Access
Libertés et responsabilités dans la recherche académique
Comets, Comité d'éthique du CNRS, 1er février 2018
... et même une vidéo, si vous en voulez toujours plus !
Open access explained !
What is open access? Nick Shockey and Jonathan Eisen take us through the world of open access publishing and explain just what it's all about.
Panorama
Discussion sur le thème de l’open access avec Ghislaine Chartron, enseignante-chercheuse en sciences de l’information et de la communication et directrice de l’Institut national des sciences et techniques de la documentation (INTD), Pascale Heurtel, adjointe à l'administrateur général pour le patrimoine, l'information et la culture scientifique, Thierry Horsin, enseignant-chercheur en mathématiques et statistiques et Michel Terré, enseignant-chercheur en électronique et président d'HESAM Université.
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Nos intervenants
Ghislaine Chartron
Enseignante-chercheuse
Équipe pédagogique nationale 15 : Stratégies
Laboratoire Dispositifs d'information et de communication à l'ère numérique - Paris, Île-de-France (Dicen-IDF)
Directrice de l’Institut national des sciences et techniques de la documentation (INTD)
Page web personnelle
« Titulaire de la chaire d’ingénierie documentaire au Cnam, ma passion est de former des spécialistes de la gestion et de l’analyse des informations, des connaissances et des données attachées à des valeurs fondamentales telles que la qualité, la diversité et l’indépendance. »
Pascal Heurtel
Adjointe à l'administrateur général pour le patrimoine, l'information et la culture scientifique
Thierry Horsin
Enseignant-chercheur
Équipe pédagogique nationale 6 : Mathématiques et statistiques
Laboratoire Modélisation mathématique et numérique (M2N)
« Je m’intéresse aux questions d’observabilité et de contrôlabilité. Je trouve passionnant l’enseignement des mathématiques dans un cadre de sciences de l’ingénieur. »
Michel Terré
Enseignant-chercheur
Équipe pédagogique nationale 3 : Électronique, électrotechnique, automatique, mesures
Centre d'études et de recherche en informatique et communications (Cedric)
Président d'ESAM Université
Page web personnelle
« Je m’intéresse aux questions d’optimisations des formes d’onde pour les communications avec les mobiles, en particulier, pour ce qui concerne la 5ième génération de téléphonie mobile. »