Prenez un bain, sauvez un ours polaire !

2PACHI : le défi de l’autoconsommation énergétique

Propos recueillis par Diane Tribout
Illustrations de Capucine Grallet

La mission confiée à nos chercheur.e.s est la suivante : permettre à une famille vivant dans une maison individuelle de répondre à leurs besoins en énergie thermique par, et uniquement par, l’énergie produite avec leurs panneaux solaires. Bref, devenir des autoconsommateurs heureux !

Depuis la fin du XXe siècle, « innovation » ne peut plus se définir simplement par « progrès » et « nouveauté » ; le développement durable et le respect de notre environnement, rentrent forcément dans l’équation. Ainsi, en 2016, la question de l’autoconsommation énergétique n’est pas une nouveauté. Pourtant, si nombre d’habitations individuelles sont équipées de panneaux photovoltaïques, reste encore à mettre au point un système de stockage et de distribution de cette énergie qui soit performant, optimisé et rentable… C’est ce défi qu’ont choisi de relever trois de nos chercheur.e.s et ce, entouré.e.s de partenaires prestigieux, parce que chez les frigoristes aussi, l’union fait la force !

Pouvez-vous nous présenter rapidement le projet 2PACHI ?

Maison - étéLe projet de recherche 2PACHI s’inscrit dans un plus vaste projet soutenu par l’Ademe sur les énergies durables : production, gestion et utilisation efficaces et a pour objet officiel le développement d’une « pompe à chaleur photovoltaïque en autoconsommation pour l'habitat individuel ».

en savoir plusVoir le schéma du système d’autoconsommation d’énergie thermique

Le Cnam, et plus précisément l’équipe Énergétique des systèmes pour l’industrie et le bâtiment du laboratoire de Chimie moléculaire, génie des procédés chimiques et énergétiques (CMGPCE), est pilote et coordinateur du projet qui réunit quatre autres partenaires : le bureau d’études POLENN, spécialisé dans la maîtrise de l’énergie, l’optimisation énergétique et les énergies renouvelables et trois grandes entreprises : AMZAIR pour le développement de la pompe à chaleur, NKE pour celui du gestionnaire d’énergie et enfin Bosch, pour le ballon de stockage. Nous sommes trois chercheur.e.s à travailler sur ce projet depuis novembre 2015.

Pouvez-vous nous décrire plus précisément l’enjeu de cette recherche ?

Nous savons aujourd’hui produire l’énergie photovoltaïque mais nous ne savons pas la stocker. Les propriétaires de panneaux solaires revendent l’énergie produite à EDF, ce qui a tendance à perturber le réseau. L’objectif de nos recherches est de créer un nouveau système, avec pompe à chaleur et ballon de stockage, qui permettra d’une part l’autoconsommation d’énergie et d’autre part, le stockage en cas de surproduction.

Il faut donc créer une pompe à chaleur directement alimentée par l’énergie produite par les panneaux solaires, et non plus reliée au réseau électrique, et un ballon de stockage plus performant, c’est-à-dire limitant la déperdition d’énergie et ayant une densité de stockage plus importante. Et ensuite il faut faire fonctionner l’ensemble de la façon la plus optimisée possible !

Nous devons répondre à un double objectif: outre permettre, d’un point de vue technique, l’autoconsommation d’énergie produite par les panneaux solaires situés sur le toit de la maison, notre projet doit garantir un remboursement de l’investissement de départ dans les deux ou trois ans suivant l’installation du nouveau système.

Dans quel contexte environnemental se situe cette recherche ?

Tout d’abord, il s’agit de répondre à des « besoins en chaud » : stocker l’énergie photovoltaïque sous forme thermique, et non électrique, pour permettre ensuite de chauffer et d’alimenter en eau chaude une habitation. Ensuite nous parlons d’un type d’habitation très précis : un pavillon individuel répondant à la réglementation thermique 2012. Ce projet concerne donc des maisons récentes et déjà très performantes en termes d’isolation. Enfin, nos scénarios sont situés en Bretagne car la couverture nuageuse y est très forte et qu’un système performant dans cette région le sera partout en France ! Puis aussi, parce que la région rencontre souvent des problèmes de coupures sur son réseau électrique et que la réussite du projet permettrait de remédier à ce problème.

Comment est réparti le travail entre les partenaires ?

Maison - hiverNous avons travaillé, avec le bureau d’études POLENN, sur des scénarios-types et leur modélisation numérique afin de fournir à nos trois partenaires industriels les informations nécessaires au développement de pièces spécifiques. À commencer par les besoins énergétiques de notre maison : les scénarios doivent prendre en compte des données fixes comme le nombre d’occupant.e.s de la maison et leurs habitudes de consommation (temps de présence dans la maison, température de chauffage, nombre de douches par jour, etc.) mais aussi des données variables comme la météo et la couverture nuageuse. S’ajoutent également des contraintes pratiques comme, par exemple, le volume du ballon qui devra tenir dans un espace réduit comme n’importe quel ballon d’eau chaude d’habitation individuelle. Enfin, le cahier des charges doit garantir un remboursement de l’investissement de départ dans les deux ou trois ans suivant l’installation du nouveau système. En fonction de tout ça, nous pourrons, avec nos partenaires, définir la durée de la période de stockage que nous ambitionnons qui ira probablement d’une à trois semaines. 

D’ici environ six mois, les nouveaux composants nous serons envoyés et nous les monterons, ici au Cnam, sur une maquette reproduisant le système dans sa globalité. Commencera alors la phase de test…

Comment allez-vous recréer une maison bretonne au sein de votre laboratoire parisien ?

La pompe à chaleur créée par AMZAIR et le ballon de stockage développé par Bosch, seront testés à échelle réelle. Les panneaux photovoltaïques seront remplacés par un générateur électrique NKE reproduisant exactement ce que notre maison bretonne produirait en énergie et ce, au cours d’une journée type, c’est-à-dire en tenant compte de variations d’ensoleillement. La maison sera simulée par la mise en place d’une source de chaleur ; une installation composée de résistances chauffantes et d’un échangeur de chaleur qui nous permettra de distribuer l’eau chaude. Le travail sur le contrôle-commande mené par notre post-doctorant nous permettra de commander avec précision le chauffage de l’eau, sa température au moment de l’envoi, ainsi que la durée de cet envoi. Donc oui, nous allons pouvoir recréer une maison bretonne rue Saint-Martin, à Paris !

Quelles sont les difficultés d’un tel projet ?

Elles sont surtout techniques. Par exemple, il nous faut tout d’abord arriver à avoir une vision d’ensemble sur la période de chauffe pour pouvoir ensuite dire comment utiliser les panneaux solaires de la façon la plus optimisée possible. Nous devrons aussi trouver un moyen de stocker toute l’énergie créée par ces panneaux, objectif zéro gaspillage ! Enfin, il va falloir trouver comment gérer les différences de température de l’eau stockée dans le ballon car selon que l’on veuille alimenter les radiateurs ou chauffer l’eau de la douche, les températures varient.

En termes de résultats, qu’attendez-vous ?

PhoqueIl y a peu de chance que la manip’ ne « fonctionne pas ». Par contre, on peut envisager de ne pas obtenir les résultats escomptés. Dans ce cas, une analyse des données et performances et ce, composant par composant, nous permettra de déterminer où est le problème ou ce qu’il faut améliorer. De toute façon, il y aura forcément des axes d’amélioration… En premier lieu parce que notre expérimentation ne prend en compte qu’un cas bien particulier (type de maison et profil de consommation) et se posera donc inévitablement la question de la généralisation du procédé à d’autres cas.

Si le projet donne de bons résultats, nous pourrions voir ce système d’autoconsommation investir nos maisons d’ici 5 à 10 ans, ce qui intéresse beaucoup les industriels fournissant les composants. L’émergence d’un nouveau marché poussera Bosch à commercialiser son ballon de stockage. Quant à NKE, ils ont déjà identifié la part de marché à prendre et le développement de leurs activités que ce projet pourrait entraîner.

EDF en sortira également gagnant car non seulement son réseau ne se verra plus perturbé par la revente d’énergies renouvelables par des particuliers mais en plus, maline, l’entreprise a développé son activité vers les énergies renouvelables avec la création d’EDF Énergies nouvelles réparties (EDF ENR), fournissant, notamment, des panneaux solaires.

Enfin, la.le propriétaire de maison équipée de panneaux photovoltaïques profitera des avantages de l’autoconsommation devenue bien plus rentable que la revente de son énergie à EDF, d’autant que le prix de rachat ne cesse de diminuer. C’est pour cela que le retour sur investissement est un paramètre important dans le cahier des charges de notre nouveau système d’autoconsommation.

BanquiseL’autoconsommation énergétique est passée en quelques décennies du statut de « rêve de hippie » à celui de « prérogative gouvernementale », entraînant inévitablement d’importants enjeux industriels et commerciaux et changeant ainsi la donne à tous les niveaux ; du géant fournisseur d’énergie aux particuliers, en passant par des industriels de toutes tailles. C’est dans ce contexte que le travail de nos chercheur.e.s prend tout son sens et son importance. Et l’aboutissement de leurs travaux pourrait bien voir l’avènement d’une nouvelle ère de l’autoconsommation énergétique. On pourra alors dire :

« Prenez un bain, sauvez un ours polaire ! »