Le cnam mag' #9 - page 21

mag'
19
Le Cnam, terre d’accueil
d’une chercheuse en exil
L
a Convention de Genève de 1951 répertorie cinq
motifs de persécution : la race, la religion, la
citoyenneté, l’appartenance à un certain groupe
social, l’opinion politique. Avoir été une militante des
droits de l’homme pour la minorité ethnique kurde (cf.
Peace Academician Petition in Turkey
) au moment où la
démocratie a été mise entre parenthèse en Turquie, cela
a conduit à la perte de mon emploi à l’Université et à une
série de persécutions politiques. Ces événements m’ont
toutefois permis d’intégrer le Laboratoire interdiscipli-
naire de sociologie économique (Lise) du Cnam, par le
biais du programme Pause.
Au fond, tous les motifs de persécutions de la Convention
figurent dans mon histoire. Le prix que ce gouvernement
antidémocratique m’a fait payer pour avoir demandé la
paix a été énorme : j’ai été contrainte de quitter ma mai-
son, d’abandonner mes souvenirs d’enfance, l’ensemble
de mes contacts, ainsi que la langue maternelle avec
laquelle j’avais grandi et ce ne fut pas facile. Transporter
une vie riche en couleurs dans un sac à dos de toile noire
a été très dur. Mais je me trouve très chanceuse, non pas
d’avoir réussi à fuir mais de pouvoir me sentir à nouveau
et à ma grande surprise «chez moi ». Ce fut, en partie,
grâce à l’accueil que j’ai reçu au Lise et au Cnam. Merci
pour vos sourires et vos marques d’amitié qui ont fait de
votre chez vous, un «chez-moi ».
Comprendre les expériences des migrants qualifiés
Je fais partie des 85 726 réfugiés en provenance du
Moyen-Orient – soient 6,6% de toutes les demandes
traitées par l’UE en 2016 – qui ont été accueillis en
France. Le ministère de l’Intérieur a délivré environ
200 000 permis de résidence régulière pour les ressor-
tissants de pays tiers depuis 2010 ; ce nombre est passé
à 227 000 en 2016.
De récentes études indiquent qu’au moins 25% de la
population française est issue de l’immigration. Et pour-
tant, les données ou recherches récentes sur ces enjeux
restent peu nombreuses en France. Comprendre les
expériences personnelles des migrants hautement
qualifiés sera, donc, l’objectif principal de ma recherche.
Elle se penchera concrètement sur l’apprentissage de la
langue, de l’éducation, sur les possibilités de formation
professionnelle ; mais aussi sur les modalités d’informa-
tion sur le marché du travail, d’accès aux droits, ou
encore de reconnaissance des
diplômes obtenus dans le pays
d’origine.
Je porterai une attention particu-
lière à la compréhension des stra-
tégies développées par les migrants hautement qualifiés
pour surmonter les difficultés, ainsi que le rôle des asso-
ciations pour pallier ces difficultés. Il sera aussi intéres-
sant de tenter d’expliquer pourquoi il y a eu si peu de
travaux de recherche et de mesures d’accompagnement
sur cette population porteuse de compétences profes-
sionnelles et de connaissances. Une partie spécifique de
mon travail sera consacrée à discuter de l’importance
des acteurs associatifs comme facteur multiplicateur de
la solidarité sur le terrain.
Bien qu’il n’y ait pas de données fiables concernant les
immigrants hautement qualifiés, il est important d’indi-
quer la récente prise de conscience du ministère des
Affaires sociales qui a abouti à une convention entre le
ministre de l’Intérieur et le service public de l’emploi
(SPE) en 2016. La Commission européenne met en effet
l’accent sur les compétences et la mobilité ainsi que sur
la perte du capital humain et de ressources et appelle
tous les membres à élaborer de meilleures politiques
d’intégration. Les politiques d’intégration des compé-
tences, non seulement aideront les migrants hautement
qualifiés à transférer leurs compétences et leur qualifi-
cation dans le pays hôte, mais elles pourront également
tirer profit de cerveaux auparavant déclassés, finalité
importante de toute économie inclusive.
Mon sujet de recherche ne relève pas ainsi d’une quel-
conque « stratégie de carrière académique ». Il est un
thème pluridisciplinaire dont l’originalité première tient
à un fait ; je fais moi-même partie de mon sujet
d’étude !
En Turquie, l’universitaire Esmeray Yoğun était spécialiste des questions de management, d’en-
trepreneuriat et de genre. Signataire en janvier 2016 d’une «déclaration de paix» dénonçant les
répressions contre les Kurdes menées par le gouvernement turc, elle a été accusée de complicité
avec une entreprise subversive et persécutée. Accueillie en France dans le cadre du programme
Pause, elle mène depuis cet automne ses recherches au Conservatoire sur les migrants hautement
qualifiés.
Recherche
Esmeray
Yo
ğ
un
Les politiques d’intégration
des compétences pourront
tirer profit de cerveaux
auparavant déclassés
Actualités
Le programme
Pause, pour
soutenir les
universitaires
persécutés
Lancé en
janvier 2017, le
Programme
national d’aide
à l’accueil en
urgence des
scientifiques
en exil (Pause)
favorise
l’intégration des
scientifiques
et intellectuels
dont la vie est
en danger et
qui ne peuvent
plus exercer
leur métier.
Les chercheurs
de toutes
disciplines et de
toutes origines
géographiques
peuvent
bénéficier de
ce programme,
porté par le
Collège de
France.
1...,11,12,13,14,15,16,17,18,19,20 22,23,24,25,26,27,28,29,30,31,...52
Powered by FlippingBook