Le cnam mag' #9 - page 23

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Actualités
Climat électrique dans les eaux
européennes
I
nterdite par l’Union européenne en 1998, la pêche
électrique faisait depuis 2007 l’objet d’une autorisa-
tion à titre expérimental dans le sud de la Mer du
Nord. Chaque État-membre pouvait équiper d’électrodes
5% de sa flotte de chalut à perche. Les Pays-Bas, sou-
vent cités, n’étaient pas les seuls à en profiter, comme le
relève Sabine Jansen, maîtresse de conférences au
Cnam : «
La Grande Bretagne a ainsi une douzaine de
bateaux, l’Allemagne dix… Mais les Néerlandais n’ont
pas respecté les conditions fixées, en équipant 28% de
leur flotte, soit 84 navires. Un abus d’autant plus problé-
matique que des fonds européens ont servi à financer
l’équipement de ces chaluts !
» Les pêcheurs néerlandais
plaident pour la possibilité de généraliser cette tech-
nique, qui ne serait plus réservée aux chalutiers à
perche, arguant de son efficacité et… de sa dimension
écologique. Levée de boucliers chez leurs homologues
français, qui les accusent de vider les mers, et chez les
ONG écologistes, Bloom en tête.
Une technique décriée
Mais l’organisation d’une opposition est d’autant plus
compliquée que «
très peu d’études scientifiques, hormis
néerlandaises, analysent les impacts de cette pêche sur
le long terme
», note Jacques Massé, intervenant au
Cnam-Intechmer et chercheur en halieutique. Dans la
pratique, la pêche électrique repose sur un principe
simple : des impulsions électriques sont envoyées par les
électrodes placées à l’avant des filets qui ratissent les
fonds marins. Elles provoquent des convulsions chez les
poissons plats vivant sur les sédiments, qui remontent
paralysés jusqu’au filet. Pour les lobbys néerlandais,
cette technique évite de racler et de détruire les fonds
marins, nécessite une moindre dépense de fioul pour
récolter une grande quantité de poissons. Bref, minimise
l’impact sur l’écosystème.
Or, «
beaucoup d’observateurs ont relevé des plaies et
traces de brûlures sur les poissons démersaux, c’est-à-
dire vivant en contact ou à proximité des fonds marins,
pêchés avec cette méthode. Comment ne pas penser
alors aux dégâts potentiels sur les petits organismes (qui
servent entre autre de nourriture) ou les larves de ces
poissons ?
», soulève Jacques Massé. C’est la durabilité
de la pêche qui est remise en cause avec cette pratique.
«
Avant l’Union européenne, de nombreux pays ont testé
la pêche électrique. Mais la plupart ont fini par interdire
cette pratique comme le Vietnam en 1996 ou la Chine en
2002, pourtant premier pays de pêche et de production
aquacole
», complète Sabine Jansen.
Vers une interdiction complète?
Le 16 janvier dernier, c’est finalement le Parlement euro-
péen qui se prononçait contre toute attente pour l’inter-
diction. Depuis le 19 mars, les discussions ont repris
dans le cadre du trilogue
1
. Avec une Commission accu-
sée de ne pas avoir pris en compte les avis négatifs du
Comité scientifique, technique et économique des
pêches en 2006 et du Conseil international pour l’explo-
ration de la mer en 2016... «
L’UE se veut en pointe sur les
questions environnementales dans le domaine de la
pêche, l’un de ses secteurs les plus intégrés et réglemen-
tés. Il est donc fort peu probable qu’une généralisation
de la pêche électrique soit adoptée. La vraie question
porte plutôt sur le maintien de la dérogation actuelle ou
sur son interdiction complète. Tout cela intervient sur
fond de Brexit, qui risque de rebattre les cartes, notam-
ment pour l’exploitation des eaux poissonneuses du Nord
du Royaume-Uni, et soulève de vives inquiétudes chez les
pêcheurs français
», estime Sabine Jansen.
Néanmoins, une interdiction ne suffirait pas à rétablir le
niveau des ressources marines. «
Les poissons ont été
victimes d’une surpêche, bien que les contrôles soient de
plus en plus rigoureux, et potentiellement du réchauffe-
ment climatique
», souligne Jacques Massé. «
Pour
enrayer ces phénomènes il faudrait limiter la pêche en
leur laissant le temps de se reproduire et utiliser plutôt
des engins dormants, non agressifs pour les fonds
marins comme des masses ou des filets droits.
»
Aurélie Verneau
Depuis le 19 mars, la pêche électrique est de nouveau au cœur des négociations entre les instances
décisionnelles de l’Union européenne. C’est la suite d’un feuilleton houleux. Après des années de
pratique, l’interdiction de cette technique décriée pour ses nuisances était votée par le Parlement
européen le 16 janvier dernier. Retour sur cette polémique...
Expertise
1:
Réunions
informelles entre
les institutions
européennes
dont le but est de
déboucher sur un
compromis.
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