Le cnam mag' #9 - page 27

Philippe Durance,
Régine Monti,
Le long terme
comme horizon.
Système
d’anticipation et
métamorphose
des
organisations
,
Éditions Odile
Jacob, 2017.
mag'
25
Trois questions à...
Le phénomène des slasheuses et slasheurs traduit-il
un nouveau rapport au travail ?
À mon sens, le phénomène des slasheurs met surtout
l’accent sur une non-distinction entre ce qu’est un travail
rémunéré et ce qu’est une activité. La plupart des
slasheurs possède un emploi principal leur procurant
une rémunération. Ils l’occupent quelques fois à temps
partiel, ce qui leur permet de développer d’autres activi-
tés. Parfois, celles-ci sont simplement réalisées en
dehors d’un travail à temps plein. Elles ne sont pas forcé-
ment liées à un salaire. Mais elles permettent de s’ac-
complir. Le
slashing
est un mode de vie, auquel ils
s’adonnent par goût, par volonté de sortir des grandes
entreprises, pour gagner en autonomie en rentrant dans
des cadres plus souples, loin des hiérarchies pesantes.
Pour autant, les slasheurs sont loin de composer un
groupe homogène. Certains rejoignent l’économie
sociale et solidaire, d’autres l’autoentrepreneuriat. Ce
dernier statut facilite considérablement la pluriactivité.
Tous cherchent une valorisation, parfois simplement au
niveau symbolique, à l’exemple de celle fournie par une
activité bénévole. À mon sens, si les jeunes générations
sont bien représentées parmi les slasheurs, il serait
réducteur d’y voir un phénomène générationnel. Il s’agit
plus d’un phénomène de société, propre à une époque.
Au-delà des membres de la génération Y, on trouve des
quadragénaires et des quinquagénaires. Ce qui change,
c’est la place, le temps, l’attention accordée à des activi-
tés qui ne répondent pas strictement à l’idée d’emploi. Et
là, tout le monde se sent concerné.
Le développement du numérique et toutes les transfor-
mations qu’il a engendrées ont contribué à l’essor de ce
mouvement. Les nouveaux moyens de communication et
d’information démultiplient les opportunités tant pour
trouver des nouvelles activités que pour les gérer de
front. Certes facilitateur, le numérique ne constitue pas
cependant un facteur plus structurant qu’un autre de
l’amplification du
slashing
.
Comment les entreprises peuvent-elles renforcer
l’engagement de leurs salariés?
Face à l’ampleur de ce phénomène, les entreprises réflé-
chissent aujourd’hui aux solutions pour permettre à
leurs salariés de valoriser l’ensemble de leurs compé-
tences et talents, afin de réduire le risque d’ennui et le
sentiment de routine. Cet axe de réflexion est essentiel
pour fidéliser ces salariés pluriactifs.
Si elles constatent que leurs collaborateurs ne sont plus
autant préoccupés par l’emploi que dans les décennies
précédentes, peu savent comment y remédier. Comment
redonner du sens et le goût du travail à ceux qui sou-
haitent s’épanouir hors du cadre de l’entreprise ?
Certaines cherchent à identifier et valoriser les compé-
tences des salariés qui ne sont pas liées aux métiers.
Mais quelle légitimité auraient les entreprises à aller
enquêter sur le plan des compétences personnelles?
Si être pluriactif est aujourd’hui socialement
valorisé, le
slashing
n’est-il pas aussi le syndrome
d’un monde du travail précarisé?
Le
slashing
est un concept très large qui recouvre des
réalités très variées. Bien que cela soit rarement mis en
avant, ce phénomène comporte une part d’ombre : si on
adopte une définition large, il comprend aussi tous ceux
qui occupent plusieurs emplois par nécessité, afin d’ob-
tenir un salaire décent et subsister. C’est un fait de
société très répandu aux États-Unis où les personnes
sont parfois obligées de cumuler deux à trois jobs. C’est
alors en effet une réponse à la précarité de l’emploi. En
France, cet aspect est assez peu documenté. Et il est
souvent omis lorsque l’on évoque les slasheurs.
Propos recueillis par Aurélie Verneau
Philippe Durance est professeur du Cnam sur la chaire « Prospective et développement durable ».
Également président de l’Institut des futurs souhaitables (IFS), il a fait des réflexions sur le futur des
organisations, l’innovation et le changement social le cœur de ses recherches.
Actualités
La prospective au Cnam
Dans un monde en profonde et constante mutation, les
organisations, publiques comme privées, sont à la
recherche de voies nouvelles pour poursuivre leur
développement et répondre aux attentes de leurs diffé-
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leur manière de voir et de faire, et qui posent la ques-
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