Le cnam mag' #9 - page 32

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La
Smart City
, ville inclusive?
S
i l’on considère que la matérialisation de la société
se retrouve dans l’organisation de la ville, évoquer
la société inclusive, c’est assurément aborder la
question de la ville inclusive. Par ailleurs, à l’aune de la
révolution numérique, le rapprochement entre numéri-
sation de la ville et son inclusion parait être un mariage
d’opportunité, si ce n’est de raison. En tout cas, un
mariage d’actualité au regard de l’abondante littérature
provenant de la presse et des milieux professionnels de
l’aménagement et de l’urbanisme ! La réalité n’est pas si
évidente, d’où la question : la
Smart City
est-elle une ville
inclusive?
La notion de ville inclusive est en soi discutable. Par défi-
nition, une ville inclusive serait une ville opposée à l’ex-
clusivité qu’elle soit d’ordre économique ou sociale. Par
exemple, une ville inclusive serait une ville opposée à des
phénomènes urbains comme les
gated communities
,
ces résidences fermées dans lesquelles les habitants
sont tous de mêmes conditions sociales et œuvrent
ensemble pour rester dans un entre-soi impénétrable.
Or, force est de constater que ce type de quartier fermé
est un phénomène mondial en voie de dissémination.
Grrrr !
Ville inclusive, mythe urbain?
Depuis que les praticiens de la ville ont recours à la
notion de ville inclusive, celle de la cohésion sociale tend
à disparaître. Et pourtant, sa signification est bien plus
claire. Alors parle-t-on de la même chose? La ville inclu-
sive serait-elle une ville qui prend en compte les besoins
de l’ensemble de la population composant la ville ? Ce
concept, sorte de nouveau mot d’ordre de pratique
urbaine, est le produit de discours de politique publique
territoriale qui ne trouve pas nécessairement une
concrétisation dans la réalisation de projets urbains.
C’est-à-dire de la vraie vie. Il y a un décalage entre le dis-
cours qui est porté sur ce que devrait être une ville inclu-
sive et la réalité urbaine qui généralise des ensembles
urbains disparates, inégalitaires, et pour le coup, non
inclusifs. Derrière cette idée de ville inclusive, il y a l’idée
de justice sociale. Ainsi, pour reprendre le titre de cette
contribution, la
Smart City
est-elle en capacité d’appor-
ter une meilleure justice sociale ? Le fait d’avoir un
ensemble de capteurs permet-il d’avoir un espace plus
équitable envers tous? Rien n’est moins sûr, car la ques-
tion de la justice sociale repose d’abord sur des choix qui
restent déterminés par des convictions politiques.
Si l’on regarde les exemples de
Smart City
en cours de
réalisation, de Songdo en Corée du Sud à Masdar aux
Émirats arabes unis, la ville informatisée du futur ne
semble pas faite pour les populations les plus fragilisées.
L’aspect foncier reste un facteur déterminant qui sélec-
tionne de manière naturelle les prétendants en fonction
de leurs revenus et de leurs professions.
Des villes plus accessibles?
Toutefois, la ville inclusive peut être compris dans le sens
de la Déclaration de Madrid de 2002 du Congrès euro-
péen des personnes handicapées. Dans cette perspec-
tive, la ville de l’inclusion remplace la ville de l’intégration.
Dans le cadre d’une anthropologie du handicap, la ville
inclusive, surtout aidée des outils informatiques, permet
effectivement une nouvelle accessibilité de l’espace
urbain pour des usagers qui ne pouvaient pas le prati-
quer il y a une à deux décennies.
C’est dans cette perspective de mixité urbaine et sociale
qu’il convient de lire les politiques d’innovation des villes.
Toutes portent un objectif d’inclusion sociale. De
manière conceptuelle, cela interroge la ville face aux
conditions d’émergence d’un nouveau contrat social qui
soit adapté aux nouveaux modes de communication.
Dans une société de plus en plus individualiste mais qui
connaît également de nouveaux modes de sociabilité, de
nouvelles solidarités socio-territoriales se construisent,
quand de nouvelles formes d’exclusion apparaissent.
Comment faire en sorte que les villes ne contribuent pas
à renforcer les oppositions préexistantes entre popula-
tion hyperconnectée et population en marge du numé-
rique et de l’innovation? Toute la question est là.
La
Smart City
, cette ville intelligente où l’ensemble des infrastructures sont optimisées pour le bien-
être des citoyens, est au centre de la révolution numérique en cours. Pour autant, est-elle vectrice
d’une meilleure justice sociale ou porteuse d’un nouveau contrat social ? Retour sur une définition.
Maxime
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