Le cnam mag' #9 - page 25

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Enquête
Place au slash
Jongler entre les activités est un savoir-être et la condition de leur épanouissement profession-
nel. Ces dernières années, le nombre d’actifs en quête d’éclectisme a bondi, révolutionnant notre
rapport au travail. Malgré cela, les études saisissant dans le détail l’identité de ces slasheuses et
slasheurs manquent cruellement. Enquête sur un phénomène de société encore mal connu.
A
u commencement était… LinkedIn. «
Le terme
slasheur est tiré de ce réseau social profession-
nel. Les personnes cumulant plusieurs activités y
ont en effet pris l’habitude de recourir au slash, la barre
oblique présente sur les claviers d’ordinateurs, pour
énumérer en les séparant leurs différentes activités
»,
expose Philippe Durance, professeur du Cnam et fin
observateur des nouvelles tendances sociétales.
Propulsé sur le devant de la scène médiatique par l’ou-
vrage de la journaliste et essayiste américaine Marci
Alboher,
One Person/Multiple Careers: A NewModel for
Work/Life Success
, l’expression a depuis fait florès dans
les pages de la presse féminine française. Mais elle peine
à acquérir ses lettres de noblesse dans la société.
«
Encore aujourd’hui, la pluriactivité est stigmatisée,
dans les entreprises, mais aussi dans les débats
publics
», relève François-Xavier de Vaujany, professeur
à l’Université Paris-Dauphine. «
La preuve, la question
était souvent absente des débats autour de la réforme du
Code du travail, l’an passé !
»
Au terme de slasheur, le chercheur préfère celui de plu-
riactif, «
bénéficiant d’une définition précise, également
utilisé par l’Insee. Même s’il a l’inconvénient de ne pas
prendre en compte les activités associatives
. » Si l’Insee
comptabilisait 1,4 millions de pluriactifs en 2014, l’en-
quête du Salon des microentreprises (SME), très régu-
lièrement citée, avançait de son côté 4,5 millions
d’adeptes du slashing en 2015, soit 16% de la population
active française ! Un fossé prouvant le «
déficit de
mesures fiables et longitudinales sur la question
».
Et pourtant, la pluriactivité est loin d’être nouvelle.
«
C’était un modèle économique très présent dans les
sociétés agricoles et artisanales. L’hiver, pour gagner de
quoi vivre, les paysans effectuaient des travaux artisa-
naux. L’enracinement du salariat et de la mono carrière
que l’on connaît aujourd’hui date du début du XX
e
siècle
», relève Héloïse Tillinac, enseignante-chercheure
à l’Université Paris-Sorbonne durant sept ans et fonda-
trice du site de ressources «slasheurs.fr».
Or la carrière unique et les parcours linéaires ne sont
plus la norme chez les actifs de la
génération Y, nés entre 1980 et l’an
2000. Les causes en sont multiples
et tiennent autant aux crises éco-
nomiques et sociales qui ont
secoué notre société qu’aux transformations profondes
du monde du travail, liées notamment à l’essor des tech-
nologies numériques et à l’émergence de nouveaux
métiers.
Conjuguer travail et plaisir
Selon l’enquête du SME, 70% des slasheurs le sont par
choix. Pour gagner plus ? Le phénomène ne saurait se
résumer à une motivation économique, avec un tiers des
répondants à l’enquête exerçant une deuxième activité
par passion. Cette accumulation d’emplois n’est pas non
plus l’apanage de la jeune génération. Elle touche tous
les âges et les deux sexes, animés par un même besoin :
redonner un sens à leurs activités professionnelles en y
insufflant du plaisir. «
Pendant des années, j’ai cru que
j’étais une extraterrestre et que je n’étais pas adaptée au
monde du travail. Quand je m’ennuyais, je faisais le
constat que je n’étais pas efficace et que je perdais de
l’enthousiasme. J’ai aujourd’hui compris que j’étais juste
Actualités
1:
Marielle Barbe,
Profession
slasheur. Cumuler
les jobs, un métier
d’avenir
, Éditions
Marabout, août
2017.
Un même besoin les anime :
redonner un sens à leurs
activités professionnelles en
y insufflant du plaisir !
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