Le cnam mag' #9 - page 37

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Grand angle
Quand les «amateurs»
font progresser la science
L
es sciences naturelles, renouvelées aujourd’hui
par les études de la biodiversité, se sont histori-
quement constituées grâce à l’investissement de
naturalistes amateurs à l’origine d’importantes collec-
tions. Le rôle de ces amateurs est toutefois plus faible
depuis l’institutionnalisation des disciplines et l’émer-
gence de nouvelles méthodologies comme la génétique,
qui n’entraient pas dans la boîte à herboriser du prome-
neur collecteur. Mais, le
smartphone
et les capteurs qui
lui sont associés, à commencer par l’appareil photo,
peuvent changer la donne. Et permettre l’inclusion de
contributeurs amateurs à la collecte de données scienti-
fique afin de rendre plus accessible la pratique scienti-
fique hors des murs de la recherche académique mais
aussi de reconnecter le citoyen au goût de l’observation
de son environnement et des espèces qui l’entourent, au
plus près du geste naturaliste.
Collecter des données scientifiques via une
plateforme collaborative
Le laboratoire Dispositifs d’information et de communi-
cation à l’ère numérique (Dicen-IDF) du Cnam, parte-
naire de l’infrastructure de numérisation des collections
d’histoire naturelle e-Recolnat, a participé à la concep-
tion d’une plateforme participative d’un nouveau genre,
Les Herbonautes
. Elle vise à transcrire les étiquettes
d’objets de collections du Muséum national d’histoire
naturelle, en l’occurrence les plantes de l’herbier de
Paris, à partir de millions de photos de spécimens. À la
différence des initiatives communautaires comme
Wikipédia, dans lesquelles les contributeurs produisent
eux-mêmes les outils au service de leur projet, la
démarche passe ici par la mobilisation de différents par-
tenaires et prestataires dans la conception d’une plate-
forme adéquate. C’est d’ailleurs sur l’expérience des
usagers que le processus de conception se fonde.
Cette plateforme a rapidement suscité la curiosité. Les
familles se sont prises au jeu de l’enquête et sont parties
à la découverte des territoires où avaient été récoltées
les spécimens numérisés. Les plus jeunes, eux, se sont
s’intéressés aux quiz et se sont saisis des réseaux
sociaux. La maîtrise des tâches de transcription sup-
pose toutefois un environnement propice à la concentra-
tion. Et il faut distinguer le plaisir de la découverte du
visiteur de passage, avec la dynamique de contribution
régulière, qui concerne plusieurs centaines de per-
sonnes. De l’aveu des contributeurs les plus fidèles, il
faut quelque opiniâtreté avant de se prendre au jeu au
moment de la pause-café... puis de céder parfois à une
addiction à l’origine de recherches documentaires
approfondies.
Transformer la médiation scientifique
L’inclusion de nouveaux publics commence par un tra-
vail d’animation et de pédagogie pris en charge par des
scientifiques ou des professionnels de la gestion des col-
lections : ces derniers sélectionnent des séries d’images
à proposer aux internautes. Ils veillent à varier les thé-
matiques en fonction de différents centres d’intérêt des
contributeurs : histoire, régions ou espères. Mais, les
images proposées doivent aussi correspondre aux
besoins liés à certaines études. Là est tout l’enjeu : trou-
ver un équilibre pour que l’inclusion ne soit pas cosmé-
tique, mais intègre réellement des contributeurs
néophytes à des objectifs scientifiques. Les chercheurs à
l’origine des demandes de transcription sont aussi invi-
tés à participer à l’animation de la communauté. Le
guide de musée devient
community manager
. Cela sup-
pose d’inventer les codes d’un nouveau genre de média-
tion scientifique, ce travail de mise en scène, de
traduction qui reconfigure les connaissances scienti-
fiques pour les partager. Le Cnam y contribue, par ses
formations de médiateur en articulation avec son Musée.
Le souci d’inclusion provient aussi des contributeurs
eux-mêmes, qui répondent aux questions des nouveaux
venus et leur expliquent les règles du jeu, dans l’intérêt
de tous, les erreurs des uns ralentissant le travail des
autres. Constituer une communauté inclusive en ligne
est donc essentiel : de la capacité à coopérer ensemble
dépend l’efficacité du tout et de ses parties.
Faire appel à l’esprit d’observation des internautes pour renseigner une base de données scientifique
contenant des millions de photos de plantes séchées. C’est le pari du Cnam et du Muséum national
d’histoire naturelle qui ont lancé cette expérience de science participative, dans une optique : amé-
liorer les connaissances sur la biodiversité et sa dynamique.
Lise
Chupin
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